Sur la scène du Théâtre du Peuple de Bussang, trois versions d’Hamlet sont présentées : d’abord l’originelle, et à sa suite, une autre contemporaine et une dernière intimiste. Une expérience inédite en France dans un lieu unique.
Une perspective en noir et blanc s’ouvrant sur la forêt de Bussang (Vosges) qui se découvre lorsque la Cour enterre Ophélie au milieu de gigantesques crânes : au Théâtre du Peuple, le directeur Simon Delétang propose depuis ce week-end un Hamlet «dans sa pureté originelle», avant de présenter sa version contemporaine, Hamlet-Machine, du dramaturge allemand Heiner Müller.
Sur scène, les personnages habillés de noir se déplacent élégamment parmi de grands cubes blancs qui bougent au gré des scènes – une mise en scène entre ombres et la lumière qui revient «à la quintessence du décor contemporain» et rend hommage à celle d’Antoine Vitez en 1983, scénographiée par Yanis Kokkos, explique Simon Delétang.
Rappeler le décor de la forêt des Vosges
La scénographie «laisse beaucoup de place aux acteurs», ajoute Anthony Poupard, comédien professionnel qui interprète Laërte, et le décor «donne une grande liberté de s’imaginer le lieu, de jouer avec l’espace» pour Salomé Janus, comédienne amatrice jouant une paysanne.
Quand soudain le vivant surgit : un chien-loup traverse furtivement la scène avant chaque apparition du Spectre, fantôme du roi assassiné et père d’Hamlet qui lui demande de le venger, joué par le comédien amateur Jean-Claude Luçon. Un choix original de Simon Delétang qui a voulu «un animal de la nuit», rappelant le décor de la forêt des Vosges. Il «crée un effet de surprise qu’on peut avoir devant une apparition».
«Déconstruction» d’Hamlet
Devant le Spectre, apparaît un Hamlet rongé par le deuil et la révolte qui «vient fracasser un vieux monde». «En cinq actes, Shakespeare confronte ce jeune homme à tous les questionnements, toutes les angoisses et toutes les joies possibles», s’enthousiasme son interprète Loïc Corbery, de la Comédie française, qui réendosse le rôle dans Hamlet-Machine puis pour son seul en scène, Hamlet, à part.
Ainsi, à partir du 12 août, après la pièce de Shakespeare, la troupe de 15 acteurs mélangeant professionnels et amateurs – une des spécificités du Théâtre du Peuple – remontera sur scène pour jouer sa version contemporaine, Hamlet-machine donc, du dramaturge allemand Heiner Müller (1929-95), texte de neuf pages de «déconstruction» d’Hamlet.
Simon Delétang souhaitait depuis longtemps monter cette œuvre écrite en 1977, «fondatrice» pour lui et qu’il connaît par cœur, cette «sorte de poème où il n’y a plus de personnages». Il a tenu à présenter les deux à la suite afin de «proposer aux spectateurs de rester le soir pour une expérience où ils vont être complices avec les acteurs d’une nouvelle lecture de l’œuvre». Après les saluts de circonstance, le décor sera légèrement modifié et Simon Delétang présentera l’œuvre de Heiner Müller dans un prologue d’une quinzaine de minutes.
«Accompagner les gens»
Puis les acteurs, «en tenue de tous les jours», seront tous en scène autour des crânes de la pièce de Shakespeare, pour une représentation de 1 h 10 qui sera une répétition face au public dans laquelle ils vont briser les codes du théâtre en parlant parfois tous en même temps, dans des micros, voire en changeant de rôle au gré des envies du metteur en scène présent lui aussi sur scène. «Jouer les deux aide à trouver le sens du texte contemporain, qui est peut-être moins lisible à la première lecture», souligne Salomé Janus, pour qui jouer les deux pièces à la suite est une façon «d’accompagner les gens vers ce qu’est l’appropriation contemporaine des grands mythes».
Simon Delétang a aussi choisi de féminiser les seconds rôles chez Shakespeare, où il n’y a à l’origine que deux rôles féminins, pour «donner leur place aux actrices amatrices» : un choix qui annonce Hamlet-Machine où les femmes prennent leur revanche et où «Ophélie détruit le cadre imposé par les hommes». Enfin, Loïc Corbery conclura ce «périple poétique» par son seul en scène créé en 2019, Hamlet, à part, un montage de textes sur et autour de l’oeuvre, «une rêverie autour du personnage que tout le monde croit connaître».
«Hamlet» / Shakespeare. Jusqu’au 3 septembre, du jeudi au dimanche (15 h).
«Hamlet-machine» / Heiner Müller. Du 12 août au 3 septembre, du jeudi au dimanche (20 h).
«Hamlet, à part». Les dimanches 21 et 28 août et le samedi 3 septembre (12 h)