Le Théâtre national du Luxembourg fait face aux crises contemporaines, creusant le passé pour mieux se projeter.
Au cœur du microcosme culturel, il est d’usage de dire que le théâtre est le «reflet de notre société», de ses errances, de ses difficultés, de ses crises existentielles, financières… On le dit aux aguets par rapport à son époque, car il questionne, bouscule et agit. Un peu comme les politiques, en somme, ce qui expliquerait la présence répétée, en cette rentrée théâtrale, de Guy Arendt, secrétaire d’État à la Culture. Même si, avouons-le clairement, une pièce est bien plus enrichissante et réconfortante que toute autre manœuvre démagogique.
Comme chaque année, le TNL et ses pairs auscultent les maux modernes, se mettent au chevet de ce monde malade afin de donner des clés de compréhension à ses suiveurs, non pas pour le changer, mais pour une meilleure transparence et une dose d’espoir en prime. Comme le dit son directeur, Frank Hoffmann, avant de croire en un futur meilleur, il faut replonger dans le passé, quitte à se salir. «Regarder en arrière pour chercher la vérité dans l’histoire», précise-t-il, arguments à l’appui.
Au programme, donc, de cette nouvelle saison, deux rendez-vous qui ramènent aux anciennes heures sombres du Reich, à travers les questionnements identitaires d’un homme, ex-valet de la Waffen-SS (Die Antrittsvorlesung) et les explications des principaux dignitaires d’Hitler – dont le tristement célèbre Hermann Göring – emprisonnés à Mondorf-les-Bains et confrontés aux officiers américains au cœur du Palace Hotel (Codename Ashcan). Une pièce mise en scène par Anne Simon et présentée ici en première mondiale.
Première pièce en portugais
Loin des affres de la guerre, il sera toutefois aussi question de survie, aux abords d’une autoroute (Dosenfleisch) comme face à la barbarie terroriste, avec un Steve Karier en homme-animal livré à lui-même et à ses bas instincts (Out in Africa). Dans un registre plus léger et ludique, l’existence sera mise à mal dans De schéine Männchen, dans laquelle Guy Rewenig s’amuse du grain de sable déjouant une mécanique bien huilée, tout comme le jeune auteur luxembourgeois en résidence au TNL Olivier Garofalo qui pénètre nos foyers ô combien protecteurs (Heimat ist kein Ort).
Mais que le public se rassure : le noir ne sera pas la couleur dominante ces prochains mois, quelques étoiles illumineront la tenace grisaille. Preuve en est, la venue du «lunaire» Pierre Richard (Petit Éloge de la nuit) ou du bondissant Jean-Guillaume Weis qui, avec la création A Bucketful of Dreams, compte bien rêver plus grand, et avec lui, huit autres danseurs(ses). Restons dans le domaine des songes, ceux-ci bien plus cruels, avec E Living an Amerika et Das Leben ein Traum. Calderón, réappropriation en allemand du texte de Pier Paolo Pasolini.
Pour le reste, comme le souligne le metteur en scène João Reis – qui, avec Neva, offre une première pièce en portugais au TNL – «l’art n’a jamais été aussi utile qu’aujourd’hui». On s’y plonge donc à travers les folles bestioles d’un peintre à l’imagination fertile, mort il y a déjà 500 ans (Hieronymus Bosch) ou dans les mots percutants d’un Nobel de littérature, aux textes mordants (A Celebration of Harold Pinter, dans une mise en scène de John Malkovich, s’il vous plaît!).
Et, au final, s’il ne fallait garder qu’un unique sentiment, ce serait l’amour, ici abordé de multiples manières. On le retrouve frivole sous la patte de Sophie Langevin, inspiré avec Alfred de Musset (Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée); bariolé quand il prend une apparence multiple (Liebe Triebe); spirituel (Credo) ou encore cruel, mais touchant, quand il raconte l’histoire d’un père avec ses deux enfants handicapés (Où on va papa ?). Autant de réjouissances auxquelles s’ajoutent un intéressant symposium sur la traduction, de la poésie (Printemps des poètes), des élans adolescents et de la musique – au Bar national. Après tout ça, on devrait y voir plus clair !
Grégory Cimatti