Après deux semaines de fête, le 44e festival du Film italien de Villerupt s’est achevé dimanche. Le retour de la fréquentation et les œuvres mises à l’honneur au palmarès ont souligné la vitalité du cinéma italien actuel, qui retrouve son essence populaire.
Vendredi soir, lors de la cérémonie de clôture du festival du Film italien de Villerupt, le réalisateur Simone Godano a remarqué : «C’est la quatrième fois que je viens ici et, à chaque fois, je dis la même chose : c’est incroyable de voir une salle pleine montrer autant d’intérêt pour le cinéma italien. Il serait impensable, dans une petite ville près de Rome, d’avoir autant de monde pour un festival de cinéma français !» Son troisième long métrage, Marilyn ha gli occhi neri, une comédie dans laquelle deux patients d’un centre de réadaptation aux personnalités diamétralement opposées décident d’ouvrir un restaurant, a remporté l’Amilcar du public. Pour le festival, qui, depuis 45 ans, a placé Villerupt sur la carte des rendez-vous cinématographiques immanquables, en Grande Région et dans toute la France, la dimension populaire du cinéma italien est une évidence, un aspect qu’il faut continuer de revendiquer. Chose qui n’a pas été toujours aisée, quand, à partir des années 1980, avec l’hégémonie télévisuelle des chaînes privées de Silvio Berlusconi, l’âge d’or du cinéma italien s’est éteint pour ne devenir plus que l’ombre de lui-même.
Mais Villerupt, ce n’est pas l’Italie, ce n’est pas même la France : c’est un morceau de terre qui, aussi bien influencé par les cultures du Luxembourg et de la Belgique tous proches, déploie son mélange de cultures et souhaite le transmettre à travers un art, le plus populaire qui soit : le cinéma. Après l’arrêt prématuré de l’édition 2020 pour cause de confinement, la bonne tenue de cette 44e édition était pratiquement une question d’honneur; ainsi, il y avait une certaine émotion dans la salle de l’hôtel de ville de Villerupt lorsque le jury jeune a remis le premier prix de la soirée, indiquant que «la plupart des membres ne connaissaient (pas) les subtilités du cinéma italien» au début de la compétition, pour que leurs doutes soient finalement dissipés en découvrant «un événement populaire, accessible à tous, un moment de partage et de convivialité». Niccolò Castelli, réalisateur du film Atlas, qui a décroché le prix du jury jeune, a manifesté pour sa part, dans une vidéo, son «plaisir de savoir que le film a été partagé dans une salle de cinéma».
Le jury conquis par la poésie
Les salles étant le symbole définitif du septième art, personne n’a manqué de remarquer que, malgré un contexte sanitaire toujours instable, il était admirable de les voir souvent pleines pendant ce festival. Le directeur de la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg et président du jury de cette 44e édition, Claude Bertemes, analysait le phénomène en ces termes : «C’est un festival qui assume pleinement son rôle de promouvoir le cinéma italien d’aujourd’hui. Ce qui revient à dire la mémoire collective, le patrimoine de demain.» Un rôle, a-t-il poursuivi, «d’autant plus urgent dans la mesure où se pose la question – dans un contexte fragilisé par le Covid-19 et d’émergence des plateformes de streaming – de la visibilité, de la distribution et de l’exploitation en salles à l’international du cinéma italien. Villerupt, il me semble, est un tel incubateur.» Sur place, on peut le remarquer depuis quelques années dans le choix du festival de ne plus privilégier les titres italiens des films qui ont obtenu un visa d’exploitation en France, et donc, un titre français. Prenons le cas de Favolacce, étourdissante fable sociale des frères D’Innocenzo, présentée en 2020 sous son titre original, et de retour cette année sous le titre Storia di vacanze, donné par son distributeur français lors de sa sortie en octobre.
Claude Bertemes tient, dans le même ordre d’idées, à partager une anecdote : «J’ai été témoin d’un intérêt de principe d’un distributeur français pour un film qu’il a pu découvrir à Villerupt. Il s’agit là d’une chose cruciale : ces rampes de lancement qui vont permettre de distribuer les films. Et surtout de les découvrir par le biais de la pulsation d’une salle de cinéma, donc, de la véritable expérience cinématographique !» Quelle meilleure expression de ce qui fait l’essence populaire du cinéma italien que de la trouver avant toute chose dans l’expérience collective et fondamentale de la salle de cinéma? C’est aussi sans aucun doute ce qui a amené le directeur de la Cinémathèque et son jury à récompenser Il cattivo poeta, de Gianluca Jodice, qui raconte la relation ambiguë que le poète Gabriele D’Annunzio entretenait avec le fascisme, jusqu’à sa mort peu avant le début de la Seconde Guerre mondiale : un film qui vaut pour la sobriété de sa mise en scène, d’excellentes performances d’acteurs – dont Sergio Castellitto dans le rôle du «Poète» – et un sujet qui trouve encore un écho avec l’actualité. Mais surtout, le film est important car il peut – et doit – être vu par tous les publics.
«Vibrant et actuel»
«La compétition était exclusivement composée de premiers ou seconds longs métrages de fiction», confiait Claude Bertemes, toujours dans la volonté d’invoquer le rôle d’«incubateur de talents» qu’a le festival. Pour lui, il s’agit d’«une ligne éditoriale aussi courageuse que pertinente», qui met en avant «un cinéma vibrant et actuel», aux antipodes de l’idée générale du «cinéma populaire», dans le mauvais sens du terme, que l’on pouvait se faire encore récemment du cinéma italien. La preuve est à trouver parmi les films préférés du public, qui votait pour les quinze films en compétition, avec deux surprises : le drame carcéral et humaniste Ariaferma, de Leonardo Di Costanzo (vainqueur de l’Amilcar des exploitants), et surtout, Il legionario, de Hleb Papou, ou l’histoire d’un CRS d’origine africaine forcé d’évacuer l’immeuble occupé dans lequel vit sa famille. Ce dernier est arrivé deuxième des votes du public, devançant même Il cattivo poeta, en troisième position, et montre en définitive que la comédie italienne grand public n’est plus forcément la dernière composante populaire du cinéma italien.
Fabrice Montebello, présentant l’Amilcar de la critique, dont il était membre du jury, a fait part d’une remarque irrévocable : pour lui, la critique n’est pas seulement l’affaire de professionnels mais «une expérience particulière que fait n’importe quel spectateur qui voit des films». Pour un jury qui a notamment vu les expérimentaux, parfois sibyllins, Il buco, de Michelangelo Frammartino, et Re granchio, d’Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, rappeler la porosité entre appréciation populaire et appréciation critique était un acte parfaitement honorable, parfois méprisé. La critique a ainsi remis son Amilcar au film A Chiara, de Jonas Carpignano, ou l’enquête périlleuse d’une jeune fille de 16 ans, dans une petite ville de Calabre, partie retrouver son père disparu. Et de justifier leur appréciation : «C’est un film qui nous a particulièrement émus, comme amoureux du cinéma et comme êtres humains.» C’était la mesure du grand cinéma italien des années 1960 et 1970; vit-il aujourd’hui son second âge d’or ?
Valentin Maniglia
Le palmarès complet
Amilcar du jury
Il cattivo poeta, de Gianluca Jodice
Mentions spéciales : Anima bella, de Dario Albertini, et Takeaway, de Renzo Carbonera
Amilcar de la critique
A Chiara, de Jonas Carpignano
Mention spéciale : Anima bella, de Dario Albertini
Amilcar des exploitants
Ariaferma, de Leonardo Di Costanzo
Mention spéciale : Piccolo corpo, de Laura Samani
Amilcar du jury jeunes
Atlas, de Niccolò Castelli
Amilcar du public
Marilyn ha gli occhi neri, de Simone Godano
Amilcar de la ville
Francesco Bruni, scénariste et réalisateur