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Vie et mort des étoiles en cuisines


Le guide Michelin, mètre étalon de la gastronomie mondiale, est de moins en moins suivi. (Photo AFP)

Deux semaines après la présentation du Gault&Millau Belux, Michelin devait dévoiler lundi son édition 2016 avec les tables étoilées du Luxembourg. Cette annonce a été repoussée en raison des attentats à Paris.

C’est le moment attendu par tous les chefs. Plus que les autres guides, le Michelin et ses étoiles font rêver. Ils sont l’aboutissement d’une carrière, l’objectif d’une vie, et il est difficile pour tout chef ambitieux de ne pas attendre, chaque année, la nouvelle liste des heureux élus.

Difficiles à obtenir, encore plus à conserver, les étoiles du guide rouge ont pourtant perdu de leur éclat. La faute à une information toujours plus variée et à des sources qui ne cessent de se développer. Le site Tripadvisor est devenu le passage obligé du grand public, qui fait confiance à son système de classement, pendant que les vrais gastronomes se plaisent à recouper les sources, entre guides papier, blogs et autres réseaux.

À tel point que les chefs eux-mêmes ne sont plus vraiment obsédés par les étoiles. «C’est pour ça qu’on travaille, reconnaît Cyril Molard, du restaurant Ma Langue Sourit, à Moutfort. J’ai envie de croire que ça veut dire quelque chose. Mais cela ne doit pas être la carotte, tu peux rapidement sombrer si tu ne penses qu’à ça.» En 2003, le chef français Bernard Loiseau s’était donné la mort après avoir appris que son restaurant allait perdre ses trois étoiles.

«C’est très subjectif»

«Il est très désagréable de perdre une étoile, dit ainsi Alain Pierron, qui avait dû abandonner son macaron lorsqu’il avait repris les cuisines des Roses. Surtout, c’est fait sans avertissement, sans explication.» Renato Favaro, d’Esch-sur-Alzette, qui a perdu son étoile dans l’édition 2015 du Guide Michelin Belgique-Luxembourg, attend lui aussi toujours des explications.

Car le système de notation du Michelin n’a de cesse d’être remis en cause. Les inspecteurs du guide rouge sont un mythe craint car sans visage. Et le film L’Aile ou la cuisse, avec Louis de Funès, en est l’illustration. Ils viennent, anonymes, dans les établissements, paient leurs additions et rédigent un rapport. En cas de doute, une autre équipe effectue une visite. «C’est très subjectif, on peut avoir des mauvais jours en cuisine comme n’importe quel professionnel dans son métier», continue Cyril Molard. D’où la montée en puissance des alternatives et de Tripadvisor, utilisé par des millions de voyageurs gourmands.

«Il est impossible d’ignorer ce site aujourd’hui, renchérit Loïc Villemin, chef du Toya, à Faulquemont, en Lorraine. C’est là, c’est présent alors je vais voir les commentaires, sans y répondre.» Une démarche que certains ont choisi d’adopter, comme le restaurant Les Roses, au Casino 2000 de Mondorf. «Nous répondons à tous les commentaires négatifs sur Tripadvisor, annonce Anne Leick, responsable de la communication au Casino 2000. Il est important de prendre en considération les remarques, positives comme négatives.»

Tripadvisor versus Michelin

Même les chefs s’y mettent. «Quand je dois choisir un restaurant, je vais d’abord sur Tripadvisor, reconnaît Alain Pierron. On y trouve souvent des adresses originales qui ne sont pas dans les guides traditionnels.» Car le problème est souvent dans le conservatisme des guides, Michelin ou Gault&Millau.

Dans un entretien accordé au site gastronomique atabula.com en 2013, le très secret critique gastronomique François Simon, ancien rédacteur en chef du respecté mensuel Cuisine et vins de France, s’en prenait vertement au Guide Michelin. «Pour moi, le Michelin c’est comme une télévision en noir et blanc qui cherche à nous donner un avis suranné sur la gastronomie d’aujourd’hui, regrettait-il alors. Il faudrait qu’il sorte de son ethnocentrisme pour penser réellement la cuisine d’aujourd’hui. Celle-ci est explosée, elle est partout, différente, multiple.»

À force de privilégier les grandes tables et les grands noms, les entrées dans les guides sont ainsi de plus en plus rares. «S’il faisait preuve d’humilité et sortait de sa grande tour d’ivoire, le Michelin ne pourrait que porter un autre témoignage sur l’état de la gastronomie en France», continuait François Simon. Les cuisines ethniques sont rarement représentées dans les guides, sauf lorsqu’elles sont japonaise ou italienne. Mais un critique gastronomique est-il à même de juger la qualité de toutes les cuisines du monde? L’exercice deviendrait impossible, comme il est compliqué de satisfaire avec une même objectivité des clients qui viennent du monde entier. Par exemple, les Français adorent le fromage quand les Asiatiques l’évitent.

Tripadvisor se pose ainsi en juge de paix, avec ses notes attribuées par des utilisateurs qui ressemblent à la société dans laquelle ils évoluent. Reste à prendre les classements de ce site avec des baguettes. «Je ne vais jamais dans un restaurant qui n’a que quelques commentaires, continue Alain Pierron. Il faut que les notes soient assez nombreuses pour pouvoir y croire.»

Encore faut-il que l’établissement existe réellement. Une équipe de journalistes français avait ainsi créé une fausse table à Paris et posté des notes sur Tripadvisor. Rapidement, l’adresse est apparue en tête de liste.

Le gastronome saura alors se fier à une recette de sa composition, entre instinct, guides, internet et blogs. Sans oublier le bouche à oreille, qui reste, depuis des millénaires, la meilleure façon de faire et défaire les réputations.

Ces blogs qui font saliver

 

opinionatedaboutdining.com

«OAD» pour les intimes est la référence des blogs culinaires aux États-Unis. Si vous traversez l’Atlantique et que vous ne souhaitez pas vous fier au Zagat ou au Michelin, «OAD» est l’adresse qu’il vous faut. Les catégories qu’il propose ne trompent pas : slowfood, cuisine régionale américaine, cuisine ethnique, cuisine typique… Le meilleur burger des États-Unis se cache peut-être au milieu des pages de ce site. Les visiteurs peuvent voter pour leur restaurant préféré. Chaque année, un classement des restaurants américains et européens est ainsi établi.

andyhayler.com

Au Royaume-Uni, Andy Hayler est une star. Que son blog soit classé numéro un par le site urbanspoon.com n’est pas une surprise. Ici, le critique voyageur conte ses aventures culinaires à travers le monde. Et le monsieur voyage. Tokyo, Londres, l’Alsace occupent actuellement la page de garde de son site. Cela va vite changer.

qliweb.com

Le plus international de la sélection, ce site est bien plus qu’un blog. «QLI» est fabriqué par une équipe de treize personnes réparties aux quatre coins du globe. On y parle de gastronomie, mais aussi de vin et de voyage. Son objectif? «Parler de manière convaincante et récente des restaurants, vins et tous ces petits plaisirs de la vie.» Cette vision anglo-saxonne et moderne de la gastronomie vaut le déplacement pour casser les stéréotypes.

Et toque!

François-Régis Gaudry est un des critiques culinaires les plus connus de France, avec ses pages dans le magazine L’Express et son émission On va déguster sur France Inter. Sur son blog du site lexpress.fr, il raconte ses rencontres avec force, photos à l’appui. Le seul problème, ce sont les mises à jour, trop rares. La dernière date de mai 2015 avec un passage par L’Arpège, d’Alain Passard. Pas vraiment original. Mais l’homme n’a sans doute pas de temps à consacrer à son blog, omniprésent qu’il est sur la scène médiatico-gastronomique française.

atabula.com

Sans doute la référence française en matière de gastronomie. Le fondateur du site, Franck Pinay-Rabaroust, et son équipe proposent des critiques gastronomiques régulières, mais aussi des rencontres avec des chefs ou des acteurs de la gastronomie française. Une alternative crédible aux guides papier, même si le choix des adresses sort peu des sentiers battus. Travail propre et bien argumenté.

gillespudlowski.com

L’incontournable critique gastronomique lorrain Gilles Pudlowski a compris l’importance d’internet. Omniprésent sur Twitter et Facebook, il tient également un blog sobrement intitulé «Les pieds dans le plat». Avec son équipe, il parcourt le monde des bonnes tables pour réaliser le guide papier qu’il décline ainsi sur la Toile. Les deux se complètent

Christophe Chohin