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Un «trésor» de Cinémathèque


Vicky Krieps , Colette Flesch et Lydie Polfer. (Photo : editpress / hervé montaigu)

La Cinémathèque de la ville de Luxembourg a reçu le titre honorifique de «Treasure of European Film Culture». Une reconnaissance qui assoit presque cinquante années d’activité et permet de se projeter avec confiance dans l’avenir.

Mi-septembre 2023, l’annonce a rapidement été oubliée. Elle n’est pourtant pas si anecdotique que ça. Pour Lydie Polfer, bourgmestre de la ville de Luxembourg, «fière et honorée», la distinction équivaut à obtenir «une étoile dans le Guide Michelin». Et pour le maître des lieux, Claude Bertemes, elle ratifie tous les efforts fournis depuis qu’il a pris les commandes de la Cinémathèque en 1998. «Une sacrée reconnaissance», souffle-t-il, la gorge serrée.

Ce haut-lieu de la cinéphilie, petit îlot de résistance face aux monstres que sont les plateformes de streaming (comme Netflix) et les grandes sociétés d’exploitation (comme Kinepolis), a en effet reçu le titre de «Treasure of European Film Culture», donné par la European Film Academy (EFA) qui, chaque année, complète sa liste des lieux emblématiques et historiques qui comptent pour le cinéma du Vieux Continent. Ils sont désormais 41 à y figurer, et seront 50 en avril à la suite d’une nouvelle sélection.

Dessus, on y trouve, pêle-mêle, le Studio Babelsber de Potsdam (Allemagne), l’impressionnant château de Cahir (Irlande), la fontaine de Trevi à Rome où se sont baignés Marcello Mastroianni et Anita Ekberg dans La Dolce Vita (1960), ou, plus près, le café des Deux-Moulins à Paris, cher à Amélie Poulain, et la simple adresse du 23, quai du Commerce à Bruxelles, celle du film mythique de Chantal Akerman (1976). Autant d’endroits qu’il convient de «maintenir et de protéger, non seulement aujourd’hui mais également pour les générations à venir», peut-on lire sur le site de l’EFA. Son directeur, Matthijs Wouter Knol, ne dit pas mieux : «Un film ne tient pas qu’à ses acteurs et actrices, mais aussi aux endroits où ils se font, où ils se discutent, où il s’apprécient…»

Un film ne tient pas qu’à ses acteurs et actrices, mais aussi aux endroits où ils se font, où ils se discutent, où il s’apprécient…

La «première école» de Vicky Krieps

Il était là lundi soir pour une cérémonie de circonstance où était aussi présente Vicky Krieps, star internationale restée au pays après le LuxFilmFest, et meilleur argument pour justifier l’évolution du 7e art au Luxembourg. Elle en a profité pour récupérer au passage son trophée de «meilleure actrice européenne» obtenu pour le film Corsage, diffusé dans la foulée, et pour rappeler son lien fort qui l’unit à la Cinémathèque où, selon ce qu’elle répète à longueur d’interviews, tout a débuté pour elle.

«C’est ma première école!», lâche-t-elle. Elle pointe alors du doigt le balcon. «J’étais assise là pour voir Breaking the Waves, qui a été une révélation pour moi. Ce jour-là, j’ai découvert des choses que je n’envisageais pas jusque-là. J’étais comme la personne sur le rocher, je pouvais sentir le vent sur mon visage… Je me suis dit : « Mais est-ce réel? » Une personne m’a répondu : « Non, ça s’appelle jouer. »»

Un lieu auquel «elle doit beaucoup», donc, ne serait-ce que pour ces «splendides souvenirs» qu’elle porte en elle. La Cinémathèque, en effet, en regorge. Il y a d’abord ces «fantômes du passé» qui hantent sa voûte, comme le dit Claude Bertemes. Ils s’affichent même sur les murs, d’Erich von Stroheim à Marilyn Monroe en passant par John Wayne, sur des posters que Matthijs Wouter Knol, fan avoué, regrette de ne pas voir «tous les jours». D’autres esprits ne sont cependant pas visibles, comme celui du fondateur de cet «espace de rêve collectif» (crée en 1977), Fred Junck, l’Orson Welles du Luxembourg pour le réalisateur Andy Bausch qui lui a consacré un documentaire en 2003 (L’Homme au cigare). Derrière l’épais nuage de fumée, un vrai «visionnaire» au caractère «bien trempé» pour Lydie Polfer, dénicheur de films et le premier «à tisser des liens en Europe et dans le monde».

Une «caverne d’Ali Baba» aux 20 000 films

Tout le monde s’accorde néanmoins à dire que son «héritier» s’est plutôt bien débrouillé. «La Cinémathèque a continué dans cette lignée», reconnaît ainsi son successeur. Plus que des mots, des chiffres : 2023 aura été ainsi une année record pour l’établissement, avec 712 séances publiques et 45 000 spectateurs au compteur.

Mieux, le public, «plus jeune et universitaire», se rajeunit à vue d’œil, résultat, comme l’explique Claude Bertemes, d’une stratégie de programmation (horaires, films proposés…) qui, depuis deux ans, porte particulièrement ses fruits. Avec, en toile de fond, ce rôle dans l’éducation à l’image, déjà entrepris depuis quelques années, et toujours «primordial». Mais l’audience n’est que la partie visible d’un iceberg plus grand.

D’ailleurs, dans son message justifiant sa distinction, la European Film Academy évoque le «dévouement continu pour la préservation et à la promotion du patrimoine cinématographique international». Loin de l’écran et de la lumière du projecteur, l’équipe de la Cinémathèque travaille en effet à l’acquisition de «trésors patrimoniaux», qu’elle stocke dans des archives aux 20 000 œuvres qui ressemblent à la «caverne d’Ali Baba». Elle participe également aux restaurations de certaines copies de prestige (à l’instar de Lola Montès de Max Ophuls). Résultat de cette activité de l’ombre : on lui loue ses services, et ce, jusqu’à la Cinémathèque Française! Enfin, c’est aussi un lieu de convivialité, fait de débats, de rencontres, de ciné-concerts, de conférences, et parfois, un lieu de tournage.

Projeter Metropolis de Fritz Lang vaut d’aller voir la Joconde au Louvre!

La «nouvelle vague» façon Luxembourg

Ce qui fait dire à Claude Bertemes, enthousiaste : «C’est un musée vivant. À mes yeux, projeter Metropolis de Fritz Lang vaut d’aller voir la Joconde au Louvre!» Surtout quand cela se fait dans les règles de l’art, en analogique (sur du 35 mm ou 16 mm). Une effervescence multiple qui, espère le directeur, influe sur tout le milieu au Luxembourg. On dit souvent que la culture musicale d’un pays tient au nombre de ses disquaires et spécialistes. Pourquoi en serait-il autrement avec le cinéma et une cinémathèque? Il en veut pour preuve l’ASBL Filmreakter, fondée en 2002 par un collectif de jeunes cinéastes passionnés. Ces derniers ont aujourd’hui bien grandi, et sont passés devant et derrière la caméra (Govinda Van Maele, Fred Neuen…). Une «nouvelle vague» grand-ducale, calée sur le modèle de ce qu’a connu la France à la fin des années 1950, se plaît-il même à imaginer.

Oui, la Cinémathèque a évolué depuis sa première projection en février 1977 (La Bête Humaine de Jean Renoir). Et ce titre de «Treasure of European Film Culture», qui la place à hauteur de l’Institut Lumière à Lyon, vient d’abord récompenser un lieu «où l’on célèbre le cinéma» sous toutes ses formes, dixit Matthijs Wouter Knol.

De quoi être regonflé à bloc avant d’attaquer, début 2025, des travaux de rénovation, avec notamment la création d’une seconde salle (de 200 places) et l’exposition de reliques qui prenaient la poussière (affiches, photos, livres, objets…) Le tout dans une meilleure accessibilité et une qualité rehaussée en termes d’accueil et d’aménagement. Gageons que la plaque reçue de l’EFA y figurera en bonne place. Seul hic : le petit balcon, au charme certain, va disparaître. Vicky Krieps devrait s’en remettre.

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