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Un documentaire plonge dans la peau de kamikazes d’Al-Qaïda


"Dugma, le bouton" montre au fil de ses 58 minutes sans commentaires les convictions et questionnements de candidats au martyre (capture vidéo).

L’un est un Saoudien dévot et jovial, l’autre un converti britannique gagné par le doute, le troisième un Syrien appâté par les 72 vierges promises: un nouveau documentaire (Dugma, le bouton) lève le voile sur l’univers obscur des kamikazes en Syrie.

Rare plongée au sein du Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda, « Dugma, le bouton » montre au fil de ses 58 minutes sans commentaires les convictions et questionnements de candidats au martyre, redoutables « armes de précision du pauvre » selon les mots du réalisateur, le journaliste norvégien Pål Refsdal. « Quand je serai près de la cible, je retirerai la première sécurité (…) et je continuerai de conduire jusqu’à ce que je ne sois plus qu’à quelques mètres, et là je retirerai la deuxième sécurité », explique Abou Qaswara, filmé au volant d’un camion piégé au blindage artisanal digne de Mad Max.

« Ça, c’est le bouton. Ça, c’est Dugma. J’appuierai et avec la permission d’Allah, je les enverrai tous en enfer », dit-il dans un sourire déconcertant. Ce Saoudien de 32 ans au moment du tournage, père d’une petite fille qu’il n’a jamais vue, est arrivé en Syrie deux ans plus tôt. Il est sur « la liste », celle des volontaires prêts à aller se faire exploser sur une position de l’armée syrienne. L’attente est généralement longue, entre un et deux ans, selon Pål Refsdal qui a passé plus de six semaines auprès de ces hommes fin 2014 et à l’été 2015 dans le nord-ouest de la Syrie.

« Ils font preuve de parcimonie. Plusieurs semaines peuvent s’écouler entre deux opérations » suicide, explique le journaliste lors d’un entretien à Oslo. « Ils ne sont pas comme l’EI (le groupe État islamique contre lequel ils luttent aussi, ndlr) qui envoie des voitures piégées les unes après les autres avec des chauffeurs très jeunes qui meurent en nombre », ajoute-t-il. En attendant qu’une cible, toujours strictement militaire selon le journaliste, soit désignée, les candidats au martyre s’adonnent aux activités routinières d’une guerre brouillonne et interminable. Au risque d’être rattrapés par le doute.

Kamikazes « relax »

Né catholique d’un père américain travaillant à Hollywood –Patrick Kinney a participé à la réalisation de Braveheart, Indiana Jones et Rambo II — et de mère anglaise, Lucas Kinney, dit Abou Basir al-Britani (« le Britannique »), voit ainsi sa détermination chanceler après que sa jeune épouse tombe enceinte. « Je ne peux pas faire ça à ma famille maintenant », confie-t-il, la voix étranglée par l’émotion.

Il y a aussi des moments d’humour comme lorsque le Syrien « Abou Ljaman » –un pseudonyme– demande où se trouve le compteur de vitesse sur le blindé qu’Abou Qaswara lui apprend à manier. « Tu t’achemines vers le martyre. Tu vas vraiment te soucier de la vitesse? », répond le Saoudien. Abou Ljaman se fait aussi gentiment rabrouer quand, pour la deuxième fois, il évoque les 72 vierges promises dans l’au-delà. « J’ai été surpris de la facilité de la relation avec eux, de leur côté relax », indique Pål Refsdal, qui s’est converti à l’islam pendant une période de détention aux mains des talibans afghans en 2009.

« Si je n’avais pas su qu’ils étaient d’Al-Qaïda, je n’aurais jamais pu, sur la foi de mon seul ressenti, le deviner ». Son documentaire, tourné sans entraves après avoir reçu la permission du Front Al-Nosra, ne risque-t-il pas de donner une tribune aux membres d’une organisation classée comme « terroriste » par de nombreux pays? « Je comprends que des gens soient en désaccord sur le principe et objectent qu’Al-Qaïda a attaqué New York en 2001, Madrid en 2004, Londres en 2005, Paris et Charlie Hebdo », réplique-t-il.

« Mais le film lui-même n’essaie pas de dire aux gens ce qu’ils doivent penser, il ne fait que dépeindre le quotidien et c’est ensuite aux gens de penser ce qu’ils veulent après l’avoir vu », ajoute-t-il. Les services de renseignement norvégiens (PST) ne l’ont en tout cas pas inquiété. « Ce qui est illégal, c’est le soutien et la participation au Front Al-Nosra ou à l’EI », a déclaré un porte-parole, Martin Bernsen. « Faire un documentaire sur eux ne peut être assimilé à un soutien ou une participation ». Acheté par au moins quatre chaînes de télévision, « Dugma, le bouton » sortira début mars.

Le Quotidien / AFP