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Trois lieux, un monument


(Photo : EDITPRESS/Anne Lommel)

Pour la première fois, le Mudam, la Philharmonie et le Grand Théâtre s’associent autour d’un projet d’envergure, convoquant la célèbre chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker comme trait d’union entre les arts.

Celle qui a fondé tout son travail sur l’étude approfondie du rapport entre danse et musique, tout en proposant d’autres choses audacieuses – comme un ballet-exposition – était l’artiste «idéale» pour rassembler différentes disciplines sous une même bannière. Dimanche, en préambule au «Red Bridge Project», elle a déjà présenté, au Mudam, Violin Phase, l’une de ses premières créations (1982). Cinq autres suivront l’année prochaine.

Dimanche, dans le hall du Mudam, il y avait plus de monde qu’à l’accoutumée. Tranquillement, les gens prenaient place autour d’un étrange carré de sable, protégé scrupuleusement de l’inattention du public. C’est que c’est une star qui va le fouler, l’éprouver : Anne Teresa De Keersmaeker, fondatrice de la compagnie Rosas, bien connue au Luxembourg pour y jouer régulièrement – la première date de 2004 – est la chorégraphe belge la plus connue sur la scène internationale. Alors, quand elle entre en piste, un silence de cathédrale s’abat sur le musée, laissant la transe de la danse et de la musique répétitive de Steve Reich.

Œuvre majeure dans l’histoire de la danse, Violin Phase, qui a lancé la carrière de l’artiste, est un puissant manifeste esthétique. Un solo (17 minutes) de répétition, d’accumulation, d’équilibre entre la précision (d’une horloge, justement) et de spontanéité – comme lorsqu’elle applaudit des enfants dissipés. À l’instar du cercle qu’elle trace mécaniquement sur le sol de ses chaussures d’écolière, Anne Teresa De Keersmaeker transporte connaisseurs et curieux dans un tourbillon hypnotique. Derviche tourneur en socquettes blanches, magicienne à robe légère…

Un nouveau succès, jamais démenti sur quatre décennies, pour une pièce que la chorégraphe, 57 ans, adore rejouer – comme ses autres, d’ailleurs – et ce, malgré le poids des années. «C’est toujours un plaisir, un bonheur, lâche-t-elle, enthousiaste. C’est vrai que le temps laisse des traces dans le corps, et il faut en effet de la discipline pour se permettre une telle démarche.» Elle sera pourtant, cette année au Luxembourg, au centre des attentions à travers un projet artistique où il est beaucoup question de ponts.

D’abord celui, rouge, frontière entre trois hauts lieux culturels du pays – le Mudam, la Philharmonie et le Grand Théâtre – associés ici pour la première fois. «Il nous relie et nous sépare en même temps, explique Tom Leick-Burns, directeur du Grand Théâtre, précisant vouloir, avec ses homologues, «briser les frontières géographiques et disciplinaires». Bref, une sorte de fête entre voisins où il s’agirait de «transversalité», de «décloisonnement» et de «mélange» entre les arts plastiques, le théâtre, la danse et la musique contemporaine.

Un ballet présenté comme une exposition

D’où, ensuite, le nom, assez évident, de cette association, «Red Bridge Project», qui sera portée, enfin, par une artiste qui, durant toute sa carrière, a tissé des liens (des ponts, pardon), entre les arts : Anne Teresa De Keersmaeker. Formée à Mudra, l’institution fondée à Bruxelles par Maurice Béjart, elle y a en effet appris qu’un danseur gagnait à s’ouvrir à d’autres disciplines. «C’est vrai, les publics peuvent être communautaires, mais tous les arts s’imbriquent d’eux-mêmes», dit-elle encore.
Pour preuve, une œuvre riche, protéiforme et éminemment savante, à travers de nombreuses chorégraphies (plus de 40), calées au millimètre et pourtant adaptables à souhait, s’amusant à prendre des chemins de traverse avec la musique (surtout) et d’autres spécialités (lumière, art contemporain).

En dehors du prometteur préambule dominical, il faudra toutefois attendre 2018 pour voir le «Red Bridge Project» dans sa totalité, avec cinq productions ambitieuses de l’artiste, reparties, donc, dans les trois institutions du Kirchberg et du Limpertsberg, ainsi que des films, conférences et ateliers, qui permettront de dévoiler les multiples facettes de son travail. L’un de ses derniers en date, créé au Centre d’art contemporain Wiels de Bruxelles, puis reprise à Pompidou (Paris), à la Tate Modern (Londres) et au MoMA (New York), a les honneurs du Mudam et risque de valoir le détour : Work/Travail/Arbeid prend la forme d’un ballet présenté comme une exposition, en continu pendant cinq heures, moment durant lequel le public pénètre dans le processus de création de la chorégraphe.

Sans oublier ses nombreux paramètres : «La lenteur, les modèles géométriques, le rapport à la musique, la présence du cercle, la marche comme étant le mouvement le plus quotidien et en même temps le départ d’une danse possible», énumère-t-elle. Reste maintenant à voir si les spectateurs vont suivre et ne seront pas trop déstabilisés par ce décloisonnement. Mais il se murmure déjà que le «Red Bridge Project» pourrait s’établir durablement dans le paysage culturel luxembourgeois, tous les deux ou trois ans. À condition de trouver des artistes aussi polyvalents qu’Anne Teresa De Keersmaeker.

Grégory Cimatti

www.redbridgeproject.lu

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