Amandine Truffy et Bertrand Sinapi, fondateurs de la compagnie Pardès rimonim, jouent avec les standards de la variété française et la comédie musicale pour développer une «bluette» sentimentale, aux échos universels.
Les disparitions de Johnny Hallyday et France Gall, ces derniers temps, prouvent que la chanson populaire est intimement – et profondément – liée à nos existences propres et collectives. Amandine Truffy et Bertrand Sinapi, main dans la main avec le comédien Valéry Plancke et le musicien Frédéric Fresson, proposent de s’y pencher avec Comme une chanson populaire, qui emprunte tous les canons du genre.
À la fois comédie musicale et pièce de théâtre, elle raconte l’histoire d’Elle et Lui, deux personnages en proie à la solitude et à la dépression, qui se racontent et se rencontrent à travers certains tubes de la variété française, parlés ou chantés. De Trenet à Balavoine, une quinzaine de chansons retrace l’histoire d’une rencontre amoureuse. Après Metz, voilà que la pièce débarque ce vendredi à Mamer. Confidences.
La chanson populaire, ça vous évoque quoi ?
Bertrand Sinapi : Comme son nom l’indique, c’est une chanson connue, incontournable pour de nombreuses personnes… Bref, des hits, même s’il n’y a pas que ça dans le spectacle.
Amandine Truffy : C’était l’idée d’avoir des airs que l’on reconnaît assez facilement… et rapidement ! On peut les fredonner, sans pour autant en être fan, car ils font partie d’un imaginaire commun. Du coup, les spectateurs peuvent avoir une meilleure connaissance des textes que les interprètes eux-mêmes! C’est plutôt sympathique d’entendre le public anticiper les mots, et de voir comment on se les est appropriés.
Comprenez-vous pourquoi certaines chansons marquent à tel point différentes générations ?
B. S. : Déjà, c’est très bien fait ! Certains titres paraissent, à première vue, débiles, mais une fois qu’on travaille dessus, on se rend compte de sa qualité mélodique, de comment ça tient la route… Prenez la chanson Ouragan de Stéphanie de Monaco : au départ, on se dit que c’est nul et, au fur et à mesure, on découvre toutes les subtilités du tube. Rien n’est dû au hasard ! Tout est à sa place, se justifie, le texte comme la musique.
Est-ce pour cela qu’elles durent sur plusieurs décennies ?
B. S. : Les chansons populaires solidifient un moment du temps, s’ancrent dans nos souvenirs, cristallisent une époque. C’est important pour comprendre comment se construit un imaginaire collectif, ce quelque chose d’universel. C’est comme en théâtre classique, mais en plus large. Tout le monde connaît Hamlet, mais pas par cœur ! Ce qui n’est pas le cas d’Ouragan, même si tout le monde va vous dire préférer Hamlet (il rit).
Est-ce pour cette raison que votre compagnie travaille régulièrement sur la musique ?
B. S. : Le théâtre a cela d’avantageux qu’il traverse plusieurs arts : il y a du texte, de la voix, du corps, de la comédie, de la musique… On peut du coup insister sur l’une de ses composantes, comme la musique, qui parle directement aux gens, de manière moins « intellectuelle »…
A. T. : Disons que la musique parle plus au corps, implique un autre type de sensibilité.
B. S. : Oui, elle s’adresse à vous directement, et, comme je l’ai déjà dit, évoque une époque. Si vous entendez du baroque, vous pouvez un peu imaginer le contexte. Ce n’est pas forcément la même chose pour un texte…
Là, vous utilisez la variété française pour parler d’amour. Était-ce une évidence ?
A. T. : Oui, c’est le sujet d’un sacré paquet de chansons ! Et regardez plus loin : un standard de jazz, c’est « tu m’aimes, tu ne m’aimes plus, je vais bien et je déprime… ». On voulait décortiquer ce sujet-là.
B. S. : C’est un fait, mais l’amour est partout ! De plus, on voulait travailler sur la notion de solitude, sous un angle joyeux, vivant, et sur celle de la rencontre, et ça, la variété française en regorge.
Finalement, on est proche de l’univers de la comédie musicale…
B. S. : Mais c’est tout à fait ça ! La solitude, le malheur, la renaissance… Et les chansons que l’on emprunte se rapportent à ces sentiments. Mon père disait : « Les relations humaines sont régies par une seule loi fondamentale : Je t’aime, je ne t’aime pas; tu m’aimes, tu ne m’aimes pas ». C’est assez juste.
La comédie musicale, est-ce un genre que vous appréciez ?
B. S. : Moi, j’adore ça. Un de mes films préférés est Singing in the Rain ! Quant à Dirty Dancing, je suis fan ! Disons que c’est comme pour la variété française : en n’étant pas dans l’intellectuel, on se laisse alors porter. Dans ce sens, je suis très bon public, alors que pour qu’une pièce de théâtre me plaise, il faut se lever tôt !
A. T. : Et c’est un genre ultracodifié ! On ne regarde pas une comédie musicale en craignant que le personnage auquel on s’est attaché ne meure subitement… Oui, on le sait d’avance : ça va bien finir!
Et sur scène, comment aborde-t-on ces tubes ? Il faut quand même les interpréter, non ?
A. T. : Ça nous décale de notre jeu d’acteur. Car, il faut l’avouer, on n’est pas des chanteurs ! Le but, à travers les hits qu’on aborde, c’est de trouver sa liberté. À quel endroit on joue avec ? Quand le transforme-t-on ? Quand essaye-t-on de surprendre ? Il ne faut surtout pas chercher à imiter l’artiste, surtout que tout le monde connaît l’original… Mais c’est vrai, en tant que comédien, ce qui nous intéresse vraiment, c’est qu’on entende ce qui se dit dans les textes, qu’on les chante ou non d’ailleurs.
B. S. : Rappelons-le : c’est un spectacle de théâtre. C’est ce qui est dit, et l’interprétation qu’on en fait, qui est au centre de notre intérêt.
Existait-il, chez vous, une envie de mettre un artiste particulier en avant ?
B. S. : Cette pièce, on l’a écrite à quatre (NDLR : avec le comédien Valéry Plancke et le musicien Frédéric Fresson). On s’est d’abord fait écouter les chansons que l’on aimait, tout en se disant que l’on ne pouvait pas passer à côté de certains noms, comme Brel, Ferré ou Gainsbourg. Finalement, on a été emportés par l’histoire… On trouve, par exemple, Brigitte Fontaine. Elle est même évoquée à trois reprises – et c’est la seule –, alors qu’elle n’est pas vraiment dans les standards de la variété française.
A. T. : Mon obsession, c’était que les titres choisis parlent aux gens. Difficile, alors, de se passer d’un Hallyday, d’un Balavoine, d’une France Gall…
B. S. : Pour résumer, nos choix se sont articulés autour de trois règles : prendre des morceaux que l’on aime bien, qui fassent sens dans notre histoire et qu’ils soient suffisamment connus pour que ça marche auprès du public.
Quels échos avez-vous eu des premières représentations à l’Opéra-Théâtre de Metz ?
A. T. : Ce que les gens nous ont dit, c’est qu’ils auraient voulu chanter plus fort ! Du coup, quand on se lance dans une chanson, il y a une sorte de bruit de fond en écho, fait de marmonnements.
B. S. : Sans déflorer le spectacle, il faut préciser qu’il y a deux parties : la première, qui aborde la solitude de façon répétitive, peut faire flipper, un peu, le public. Les gens tapent dans les mains, O. K., mais à la fin…
A. T. : Mais c’est bien. Au théâtre, il s’agit quand même – et avant tout – de surprendre.
Entretien avec Grégory Cimatti