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[Théâtre] Jésus en banlieue


David Murgia partage la scène avec l'accordéoniste Maurice Blanchy. « Je pose le texte sur la musique et on fait avancer les deux ensemble», explique-t-il. (Photo : Dominique Houcmont)

Le Kinneksbond de Mamer accueille, ce soir, Laïka, pièce d’Ascanio Celestini interprétée par David Murgia, qui plonge le spectateur parmi les laissés-pour-compte de nos sociétés occidentales.

Les spectateurs du Fundamental Monodrama Festival se souviennent du passage, en 2014, du Belge David Murgia. Il y présentait Discours à la nation, une pièce déjà à l’époque signée de l’auteur italien Ascanio Celestini. Une pièce politique et sociale mettant en scène un grand patron qui s’adressait, sans une once d’humanité, mais avec honnêteté, à ses salariés. Murgia est de retour au Luxembourg ce soir pour une représentation unique au Kinneksbond de Mamer, de Laïka, qui reprend un peu la même structure narrative, mais en se plaçant cette fois-ci parmi les exclus, les sans-voix.

Jésus est de retour sur terre!  Enfin, si c’est bien lui. Mais contrairement à il y a 2 000 ans, il n’est plus là pour libérer l’humanité de ses péchés, mais plutôt pour l’observer, l’ausculter et la raconter. «C’est une sorte de Jésus, mais ce n’est pas très important de savoir si c’est Jésus ou pas, lui-même est persuadé qu’il n’est pas Jésus», note le comédien David Murgia, qui a d’ailleurs déjà interprété le Christ dans la coproduction grand-ducale de Jaco Van Dormael Le Tout Nouveau Testament. «Mais il y a quelque chose de ce grand personnage de la littérature qu’est Jésus-Christ qui a ce regard sur le monde et cette empathie dans la narration. Donc, oui, il y a des ressemblances. Sauf que c’est un Jésus moderne, qui arrive dans un monde très différent, celui du système capitaliste.» Et pour couronner le tout, «il arrive en banlieue!»

Dans ce décor qui n’a rien de la carte postale, dans un parking de supermarché sans charme, Jésus observe donc un clochard, un réfugié, une prostituée… Dans le bar où il se trouve, persuadé, à cause de l’alcool déjà ingurgité peut-être, que les clients présents ne quittent jamais les murs du débit de boissons, il leur raconte ce qu’il a vu et ce qu’il a compris et déduit de tout ça, «avec sa propre sensibilité d’être humain périphérique».

On l’aura compris, avec Laïka, on reste dans le sujet politique et social de Discours à la nation, mais on change le point de vue. Il y a trois ans, avec ce personnage de patron, on regardait la société du haut vers le bas, là, c’est plutôt l’inverse. «Les deux pièces sont des métaphores du système capitaliste, reprend le comédien, sauf que dans la première, c’était le regard de ceux qui l’utilisent, tandis que dans la seconde, c’est celui de ceux, invisibles et sans voix, qui portent le poids du système.»

Porte-voix des sans-voix

Des sans-voix qui trouvent en David Murgia, et à travers Ascanio Celestini, un porte-voix. Pour l’artiste, «si on peut donner une voix à ceux qui n’en ont pas, c’est évidemment important. C’est même un des actes les plus justes, me semble-t-il, quand on a une voix publique», lance-t-il.

Mais là n’est pas le seul but de l’exercice. Cette descente «dans la dernière couche de la société» remet aussi «en question une série de comportements que nous, couches plus aisées de la population, pourrions avoir sur tout un mécanisme de société». En d’autres termes, la pièce n’a rien d’un simple voyage voyeuriste parmi les paumés de banlieue, au contraire, elle offre une réflexion critique à tout un chacun.

Du fond, sérieux, profond, presque documentaire donc. Mais si Ascanio Celestini s’est fait connaître pour son travail d’auteur, c’est aussi bien pour le fond politique, social et ancré dans la réalité de ses pièces que par leur forme basée sur l’oralité de l’acteur, la poésie qui s’en dégage.

Encore une fois, dans Laïka, il propose un monologue, même si on y entend également la voix enregistrée de Yolande Moreau  et que David Murgia est accompagné sur scène par l’accordéon de Maurice Blanchy, qui «exprime un langage différent de celui des mots (et) parvient à exprimer toute une gamme d’émotions». D’ailleurs, Murgia explique se sentir dans ce spectacle «moins acteur ou comédien que chanteur ou slameur». Un monologue néanmoins ultrarapide et nerveux. On hésite à le comparer à un TGV ou à une mitraillette orale, tellement ses «balles» aussi pleines de satire que de réalisme font mouche.

Par sa mise en scène simple, ce Laïka – titré d’après le nom de la chienne qui a été le premier être vivant mis en orbite autour de la Terre, ce qui a fait d’elle, lance Murgia dans la pièce, ce 3 novembre 1957, si Dieu existe, «l’être vivant le plus proche de Dieu» – «permet de sortir le spectacle des salles de théâtre et de jouer dans la rue, dans des événements particuliers, de l’offrir à d’autres endroits…» En d’autres termes, apporter ainsi cette parole des laissés-pour-compte un peu partout. Et en ce sens, «chaque endroit est particulier», assure le comédien pour qui «ce spectacle fait sens dans chaque endroit», même s’il reconnaît volontiers qu’avec sa thématique, proposer Laïka «au Luxembourg ou en Suisse, c’est très amusant».

Pablo Chimienti

Kinneksbond – Mamer.
Jeudi à 20 h.

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