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[Télévision] Au cœur des sociétés secrètes du crime


Cette passionnante enquête révèle la réalité glaçante des trafics, de l’ultraviolence et des démocraties menacées. (Photo : arte)

On pourrait croire à un excellent film sur la mafia, s’il ne s’agissait pas de la réalité : dans une enquête en trois épisodes, Antoine Vitkine mène une plongée stupéfiante dans le monde mystérieux des triades chinoises.

Elles s’enracinent en Chine depuis le XVIIe siècle, leur histoire s’imbrique dans celle du pays, leur influence s’étend dans le monde entier : les triades font l’objet d’un documentaire inédit sur ARTE, retraçant les origines et la puissance de ces organisations mafieuses méconnues. «Elles n’ont qu’une seule cause : la leur, et leur soif illimitée de pouvoir et d’argent», souligne d’emblée le commentaire du documentaire (divisé en trois parties) d’Antoine Vitkine, qui a enquêté pendant plus de deux ans et obtenu un accès exceptionnel à plusieurs membres des triades, dont des grands parrains.

«Tyran de fer», le boss au visage inexpressif d’Alliance céleste, la plus puissante des triades taïwanaises, ou encore «Loup blanc», l’inquiétant et souriant chef de Bambou uni, une autre organisation taïwanaise, s’expriment ainsi longuement face caméra, parfois entourés de leurs sbires, avec l’assurance tranquille de parrains ayant pignon sur rue. «Ils n’avaient rien à perdre en faisant ces interviews : c’est une démonstration de puissance ! Peut-être aussi étaient-ils flattés de se voir au centre de l’attention», raconte le réalisateur, précisant ne pas avoir subi de pressions ou menaces particulières.

Liens politiques

Dans le documentaire, on trouve également toutes les petites mains, surnommées «La clope», «Le vaurien» ou «Le cogneur», qui  se confient avec une étonnante liberté sur leurs activités. Comme tout droit sortis d’un de ces films hongkongais qui composent en partie l’extraordinaire matériau d’archives de la série, ces truands hauts en couleur, qu’ils soient retraités ou au sommet de leur carrière, nous plongent à la fois dans la réalité et la mythologie d’organisations criminelles aussi méconnues qu’influentes.

De leur côté, des policiers, des victimes, des experts et des militants pro-démocratie, ainsi que le «repenti» Holger Chen, devenu un fervent soutien de la république taïwanaise en butte à la pression de Pékin, exposent l’envers de cet empire occulte, qui s’étend désormais sur tous les continents.

Ils n’avaient rien à perdre en faisant ces interviews : c’est une démonstration de puissance!

Du trafic de drogue et d’êtres humains en passant par la contrefaçon, le blanchiment, la cybercriminalité, mais aussi la production cinématographique ou encore les casinos, les triades brassent des milliards. Et s’adossent ou s’opposent au pouvoir, y compris celui de Pékin, en fonction de leurs intérêts. Leur histoire est d’ailleurs intimement mêlée à celle de la Chine, depuis la naissance au XVIIe siècle de ces «sociétés secrètes», devenues au fil du temps de véritables organisations politico-mafieuses.

Répression à Hong Kong

Soutenu par de nombreuses images d’archives, le documentaire se décline en trois parties d’une heure : «Naissance d’une pieuvre» retrace l’histoire des triades, leur enrichissement grâce aux guerres de l’opium, leur soutien au pouvoir nationaliste et leur exil vers Taïwan et Hong Kong après l’arrivée de Mao au pouvoir. Il se penche ensuite sur la période suivant les rétrocessions à la Chine de Hong Kong par la Grande-Bretagne en 1997 et de Macao par le Portugal en 1999, et sur le rôle politique joué par les triades (notamment pour promouvoir le rattachement à Pékin).

Ainsi, à Hong Kong, leur rôle dans la répression des manifestations pro-démocratie est avéré, revendiqué même. L’occasion de revoir les images saisissantes de gangsters en tee-shirt blanc et armés de tiges métalliques agresser violemment des manifestants en 2019. À Taïwan, «tous les mafieux fricotent avec les partis politiques», qu’ils soient pour ou contre Pékin, dit sans ambages un des chefs interviewés. À Macao, les casinos blanchissent l’argent des organisations criminelles, qui font la pluie et le beau temps.

Clichés mafieux

Soirées karaoké dans des bars à hôtesses dénudées, parrain se faisant filmer dans une baignoire remplie de billets, cortège de voitures rutilantes… Les triades ne dérogent pas aux clichés mafieux, habituellement relayés. Nombre d’images du documentaire sont d’ailleurs issues des gangs eux-mêmes, qui n’hésitent pas à se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Le troisième volet, «Au service de l’Empire rouge», traite de l’expansion des triades dans le monde entier, et plus particulièrement en Amérique du Nord.

Elles ont fait du port canadien de Vancouver leur tête de pont, où arrivent notamment les ingrédients servant à fabriquer le fentanyl, une drogue aux effets ravageurs. Selon le réalisateur, s’appuyant sur des enquêteurs canadiens, les triades sont liées avec certains cartels mexicains. En Amérique du Nord, mais aussi en Europe, elles espionnent et répriment les diasporas chinoises. «Je crois que les triades sont un des multiples enjeux du XXIe siècle, par leur poids économique et leur capacité de déstabilisation», estime Antoine Vitkine, qui avoue avoir été «saisi» par leur puissance.

Triades : la mafia chinoise  à la conquête du monde d’Antoine Vitkine. ARTE.

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