Sculptrice, photographe, vidéaste, elle est connue pour ses «opérations chirurgicales-performances». À 74 ans, ORLAN passe à l’écriture et se raconte dans Strip-tease, le livre d’une femme et d’une artiste engagée.
C’est tout simple, tout commence par le commencement. Par une arrivée dans sa tribu, dans le monde, au centre du monde. «Je ne suis pas arrivée à New York, à Paris, à Beyrouth, en Chine, à Honolulu, à Vaduz, à Luçon, à Dakar, à Johannesburg, dans une forêt d’Amazonie ou à Dubai… Je ne suis pas née dans une grande famille d’aristocrates ou d’artistes, avec une cuillère en argent dans la bouche, pas non plus dans une famille de paysans en Mongolie, ni sur une plage aux Bahamas, ni chez les Dogons, ni chez les Mayas ou proche d’une pyramide, ni chez les croyant.e.s extrémistes…»
Mireille Porte est arrivée au monde le vendredi 30 mai 1947 dans «une caste ouvrière à Saint-Étienne dans la Loire, en France (…) sans handicap visible, dans une famille classique avec des parents hétérosexuels». On apprend que ce 30 mai 1947, il faisait si chaud qu’il fallut plonger la nouvelle-née «dans la glace juste fondue pour éviter que je meure du coup de chaleur du nourrisson. Je ne suis pas morte, mais il paraît que je suis mortelle. Pour moi pourtant il n’est pas question de mourir, d’être MORTE…».
Commencement d’une vie, d’une légende que l’on peut lire dans Strip-tease. Tout sur ma vie, tout sur mon art (Gallimard), en librairies le 3 juin. L’auteure, Mireille Suzanne Francette Porte pour l’état civil, est connue dans le monde sous le pseudonyme ORLAN.
Au hasard des pages du livre, elle glisse l’explication et l’origine de son pseudonyme : adolescente, elle tenait un journal intime où elle signait «OR. L’AN 19xx». Plus tard, elle sera ORLAN, cinq lettres en majuscules, elle y tient, le dit et le répète.
«Détermination et courage»
Aujourd’hui, à 74 ans ce dimanche, elle est, selon son éditeur parisien, «une des plus grandes artistes françaises, reconnue internationalement». Elle est connue pour son look, lunettes rondes, implants sur les tempes, cheveux dressés sur la tête – un côté blanc, un côté noir…
Sur sa fiche Wikipédia, elle est présentée comme plasticienne transmédia et féministe française, vivant entre Paris, New York et Los Angeles, pratiquant la peinture, la sculpture, la photographie et la vidéo, réalisant des installations et des performances, et utilisant aussi les médias numériques, la robotique, l’intelligence artificielle et les biotechnologies.
À 17 ans, dès 1964, elle pratique la performance dans la rue. Mais c’est surtout en 1977 lors de la Foire internationale de l’art contemporain (FIAC) à Paris qu’elle réussit sa première «œuvre», Le Baiser de l’artiste. Elle écrit dans Strip-tease : «Dans ma vie, il y a un avant et un après Le Baiser de l’artiste comme il y a un avant et un après Jésus-Christ pour les chrétiens! C’est une œuvre pour laquelle j’ai dû déployer impertinence, espièglerie, acharnement, détermination et courage. Son histoire dans mon histoire est tragicomique mais se termine par plusieurs “happy ends”.»
Une œuvre aussi simple que follement efficace : l’artiste est vêtue d’un tablier la représentant nue des épaules au bas du ventre et propose aux visiteurs un baiser après qu’ils ont glissé, dans une fente prévue à cet effet, la somme de 5 francs de l’époque…
Sortir du microcosme
L’année suivante, elle crée le Symposium international de la performance et de vidéo à Lyon. Puis un séjour à New York où «les gens discutent dans l’ascenseur; à Paris, on regarde nos chaussettes ou le plafond». Elle y est exposée dans de nombreuses galeries, et certaines de ses œuvres sont achetées par le MoMA. Ensuite, elle publie le Manifeste de l’art charnel. C’est en 1990, le début des «opérations chirurgicales-performances».
Dès lors, ORLAN, grande prêtresse du «body art», monte d’un cran sur l’échelle de la notoriété, elle sort de ce microcosme qu’est le monde de l’art. Elle fait tout ce qu’il faut en faisant diffuser en direct certaines de ses opérations-performances à New York, à Toronto et à Paris.
Dans Strip-tease, elle précise : «Beaucoup ont essayé de me dissuader. (…) Pourtant tellement de femmes font la même chose pour se soumettre sans que personne ou presque les dissuade. Moi pas, et c’était de surcroît conçu comme une œuvre d’art. C’est probablement cela qui était inacceptable. Cette série de performances a été créée pour mettre de la figure sur mon visage. Un travail entre figuration, défiguration et refiguration dans un corps tantôt sujet tantôt objet…»
Lors de la récente expo parisienne «ORLAN, Striptease historique», où étaient présentées certaines de ses œuvres (dont ses «body sculptures» Tentative de sortir du cadre et ORLAN accouche d’elle m’aime, ou encore son «ORLANoïde», un robot façonné à son image), elle expliquait : «Toute ma vie j’ai essayé de voir jusqu’où on pouvait aller dans la mise à nu», avant d’ajouter : «Toute ma vie, j’ai tout fait pour sortir du cadre!» Et c’est ainsi qu’ORLAN est une œuvre d’art…
Serge Bressan
Strip-tease. Tout sur ma vie, tout sur mon art, d’ORLAN.