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«Sortir du cadre» : Marie-Agnès Gillot, l’art du grand écart 


Fin mars 2018, Marie-Agnès Gillot faisait ses adieux à l'Opéra de Paris en dansant «Orphée et Eurydice». (Photo : DR)

De ses premiers chaussons à 5 ans à ses adieux en danseuse étoile à l’Opéra de Paris, Marie-Agnès Gillot a consacré ses jours à la danse. Dans Sortir du cadre, un beau livre, elle se raconte.

Des mots reviennent. Étoile bien sûr, et ainsi grâce, liberté, indépendance… Elle s’imaginait chanteuse lyrique, elle a été danseuse à l’Opéra national de Paris. Elle a fait ses premiers pas de danse à 5 ans et passe tous les échelons. Elle est nommée première danseuse à 24 ans, puis étoile à 28 ans à la suite de la représentation de Signes de Carolyn Carlson – devenant par là même la première danseuse à être nommée à l’issue d’une œuvre contemporaine.

Fin mars 2018, elle fait ses adieux à l’Opéra de Paris en dansant l’Orphée et Eurydice. À la fin de la représentation, les spectateurs, debout, applaudissent pendant vingt minutes. Une vie pour la danse… et à 47 ans, Marie-Agnès Gillot s’est glissée dans les rayons des librairies avec un beau livre, Sortir du cadre.

Tout un programme en forme d’autobiographie. Ah! cette dernière représentation… La danseuse titre le chapitre «Une étoile filante» et écrit : «J’ai 42 ans et me voilà retraitée…»

«Ma seule liberté…»

On continue la lecture : «C’est mon sacre aujourd’hui. La danse est la manche de revers à tous les freins de ma vie d’enfant. La justice n’était pas présente. Le drame constant. Ma seule liberté était le jeu de bouger dans les airs, d’imiter les bombes noires de ma vie. Je ne danse que pour vivre, l’énergie suprême.»

Trente-sept ans de danse, et ce jour-là sur la scène de l’Opéra Garnier, Marie-Agnès Gillot vient de vivre ce que nombre de sportives et sportifs de haut niveau appellent «la petite mort». Une autre vie, alors, sur d’autres scènes, dans d’autres théâtres.

Déjà à 7 ans, elle ne tenait pas en place. «Un jour, je casse la télévision, sans le faire exprès. C’est ma jambe, elle part au ciel. Je peux la lever. J’adore faire le grand écart. C’est facile pour moi, je suis élastique.» Un jour, sa mère lui demande d’aller acheter un kilo de tomates, la gamine achète trois pommes. La mère : «Mais tu es folle! Tu vas faire un peu plus de danse!»

Plus tard, elle quittera Caen et sa famille après une dernière classe de neige («J’ai interdiction formelle de skier. Danseuse étoile et étoile des neiges ne font pas bon ménage») pour l’école de danse de l’Opéra de Paris. La directrice est une figure du monde de la danse : Claude Bess, qui a «fabriqué» nombre de futur(e)s étoiles.

Le 18 mars 2004 : «Étoile, enfin!»

Après les «petits rats», elle intègre le Corps de ballet. Bienvenue dans un autre monde! Elle y sera successivement quadrille, chef de chœur, sujet, première danseuse. À 17 ans, en Bulgarie, elle participe au Concours international de ballet (tenu pour les Jeux olympiques de la danse) – elle y sera finaliste.

Sur la scène du palais Garnier, elle danse dans des pièces de Mats Ek, Angelin Preljocaj ou John Neumeier. Elle est encore sujette quand Kader Belarbi la choisit pour sa création de Salle des pas perdus. On la voit dans Raymonda de Rudolf Noureev (elle y danse le grand pas espagnol), So schnell de Dominique Bagouet, Le Sacre du printemps de Vaslav Nijinski.

Elle incarne des personnages comme Myrtha dans Giselle, la maîtresse de Lescaut dans L’Histoire de Manon, la reine des dryades ou la danseuse des rues dans Don Quichotte. Promue première danseuse, on la retrouve dans Clavigo, une création de Roland Petit, ou encore dans Le Concours de Maurice Béjart. Et puis, cette date : le 18 mars 2004. «Étoile, enfin!» Elle écrit : «Bizarrement, c’est presque un jour comme un autre. Je l’avais sans doute trop attendue, cette nomination…» Pendant quatre années, Hugues Gall, le directeur de l’Opéra, l’avait en effet refusée.

De Béjart à Pina Bausch

Quelques pages plus loin, Marie-Agnès Gillot écrit : «Une étoile crée sa propre lumière… J’ai 28 ans. Il me reste quatorze années avant ma retraite imposée à l’âge de 42 ans. Quatorze années que je souhaite intenses, je suis insatiable. J’ai soif de connaissances. Je veux découvrir de nouveaux horizons, me nourrir de toutes formes d’art. Jamais fatiguée. Cette étoile sera ma liberté.» Étoile, on la verra dans des ballets de Béjart, Petit, Preljocaj mais aussi de Pina Bausch.

Elle s’offrira quelques sorties du cadre (de l’Opéra), comme pour le festival Suresnes Cités Danse où elle crée Rares Différences avec des danseurs hip-hop. Pour l’Opéra de Paris, avec Sous apparence, elle expérimente le langage de la pointe, et sur la scène du Rond-Point, dans Après la bataille, elle partage la distribution avec Gianluca, trisomique, et Bobo, sourd-muet.

Danse avec les stars, aujourd’hui

Souffrant depuis l’enfance d’un lourd handicap, une double scoliose qui l’oblige à porter un corset («21 heures sur 24, précise-t-elle. Je le quittais seulement pour danser»), elle est considérée comme la «danseuse contemporaine» de l’Opéra de Paris. Un gabarit rare dans le monde des danseuses – «Je ne fais que 1,75 mètre, mais avec mes bras de singe et mes jambes interminables, on m’en donne beaucoup plus!».

Une présence étourdissante, une technique d’une grande finesse, des interprétations sensibles, c’était Gillot la danseuse au diadème d’étoile. Ces temps-ci, on la voit chaque semaine dans l’émission Danse avec les stars (sur TF1), elle y est membre du jury… Sortir du cadre, dit-elle, écrit-elle.

Sortir du cadre, de Marie-Agnès Gillot. 
Gründ.

Claude, Patrick, la Pietra et les autres

Dans Sortir du cadre, Marie-Agnès Gillot évoque nombre de personnes qui, dans son parcours de danseuse, l’ont marqué. En bien ou mal. Parmi elles, six incontournables. Portraits express.

Claude Bessy (danseuse étoile, chorégraphe, professeure et directrice de l’école de danse de l’Opéra de Paris jusqu’en 2004)

«J’ai toujours eu peur de travailler avec Mademoiselle Bessy. Il faut comprendre rapidement les pas pour ne pas se faire engueuler. « Gillot, qu’est-ce que tu fous? ». Son franc-parler, sa gouaille impressionnent. Un mélange de classe et de vulgarité. Elle n’a jamais eu d’enfants à elle. Nous sommes ses petites.»

Patrick Dupond (danseur étoile et directeur de la danse du ballet de l’Opéra national de Paris jusqu’en 1995. Décédé en 2021)

«C’était une étoile, un génie, un artiste complet, une rock star. Il était flamboyant et il s’en est allé sans prévenir, humblement, discrètement. Patrick, mon petit père…»

Marie-Claude Pietragalla (danseuse étoile et chorégraphe)

«Pietra! C’est ainsi qu’elle désire être appelée. C’est une rebelle. Elle ose tout. Elle est gonflée. Mais Pietra, c’est aussi la froideur. Elle n’est ni conviviale ni sympathique. C’est la seule femme que j’ai vu casser une fenêtre de rage avec le poing après une altercation avec notre directrice de la danse….»

Rudolf Noureev (danseur, chorégraphe, maître de ballet et directeur du ballet de l’Opéra national de Paris jusqu’en 1989. Décédé en 1993)

«Il fut l’un des plus grands danseurs du monde (…) La première fois que je l’ai vu, c’était pour Casse-noisette, j’avais 10 ans, dans le groupe des rats qui tournaient autour de lui en scène. J’en avais très peur. Ses yeux pouvaient nous transpercer quand il nous regardait, et c’était une chance d’être regardée! Je sentais son regard. Je ressentais de la fierté et j’étais terrifiée.»

Sylvie Guillem (danseuse étoile du ballet de l’Opéra national de Paris et du Royal Ballet de Londres)

«L’une des plus grandes danseuses que j’ai eu la chance de rencontrer. (…) À l’âge de 19 ans, elle était devenue la plus jeune danseuse nommée étoile dans l’histoire de l’Opéra… Au Royal Ballet, son directeur lui donnera le surnom de « Mademoiselle Non ». Pour moi, elle est simplement avant-gardiste, un génie…»

Benjamin Millepied (danseur étoile au New York City Ballet, chorégraphe, directeur du ballet de l’Opéra national de Paris jusqu’en 2016 et directeur de la compagnie L.A. Dance Project)

«Il va bousculer les vieilles habitudes. Il aime bien distribuer les jeunes, non étoilés. J’apprécie son énergie. Il est très attentif à la santé des danseurs. Il a créé un pôle médical à l’Opéra. Une doctoresse est toujours à disposition en cas de blessures. (…) Benjamin veut dépoussiérer…»

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