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[Série] The Full Monty déshabille l’Angleterre post-Brexit


De retour dans la file d’attente du centre pour l’emploi de Sheffield, la bande s’oblige, devant un fan, à recréer leur fameuse danse d’il y a 25 ans. (Photo : ben blackall/fx/disney+)

Vingt-six ans après avoir dévoilé le grand jeu, la bande de The Full Monty revient dans une minisérie qui raconte, à travers ses personnages, un quart de siècle de politiques d’austérité… laissant les plus démunis à poil.

Dans un centre pour l’emploi de Sheffield, au nord de l’Angleterre, une bande de chômeurs jouent aux cartes et fument des cigarettes; le plus âgé de la pièce est, lui, assis à part, en train de parcourir les offres d’emploi. Irrité par ses anciens collègues, il leur lance : «Fermez-la, il y en a qui cherchent du travail ici. Et c’est écrit « Défense de fumer« !» Clope au bec, Gaz lui répond : «Oui, et c’est écrit « Job Club«  aussi, mais quand est-ce que t’as vu passer un job par ici ?»

Le décor était ainsi planté, et The Full Monty n’allait pas tarder à amener ses six anciens ouvriers, laissés à la rue lorsque les usines sidérurgiques de la région ont mis la clef sous la porte, prendre une drôle de revanche sur leur petit monde : pour survivre et se faire un peu d’argent, les chômeurs se livrent, le temps d’un soir, à un spectacle de strip-tease dans lequel ils dévoilent tout. «Sept Premiers ministres et trois politiques de revitalisation du Nord plus tard», avec, entre-temps, un évènement – le Brexit, dont l’impact négatif sur la population n’en est encore qu’à ses débuts –, il était temps de voir où en est aujourd’hui la petite bande, dans une minisérie en huit épisodes mise en ligne, mercredi dernier, sur Disney+.

Un film fortement politique

Réalisé par Peter Cattaneo et tourné au crépuscule de l’ère John Major, successeur chronologique et idéologique de Margaret Thatcher, The Full Monty était devenu un phénomène culturel à sa sortie en 1997, mimant l’improbable triomphe de sa bande de chômeurs-strippers. Un film à petit budget sans stars monté pour trois millions de livres, et sauvé in extremis par son producteur après que le distributeur et principal financier, Fox Searchlight, a refusé de le sortir en salles dans sa première version.

Derrière la comédie, «il est facile d’oublier que le film est fortement politique. Quand nous l’avons fait, nous parlions de la mort de l’industrie du fer», rappelait Robert Carlyle, à l’époque seule tête connue du film (l’année précédente, il avait incarné le colérique Begbie dans Trainspotting). La scène finale abandonnait ses personnages sur un triomphe, nus comme des vers devant une salle comble et en délire. «Où aller à partir de là?», s’interroge l’acteur. La réponse est simple : il suffisait de regarder où en sont aujourd’hui les régions les plus démunies d’Angleterre.

«Métaphore du désespoir»

«Dans le laps de temps entre le film et la série télévisée, explique Simon Beaufoy, scénariste du film et créateur de la série, le pire changement a été la privatisation des services publics. En se retirant discrètement des zones les moins rentables, on a laissé les plus vulnérables seuls et démunis. Les écoles, les hôpitaux, les dentistes, les services sociaux, les soins psychologiques, les transports, les terrains, l’eau : toutes les structures nécessaires aux personnes dans le besoin se sont retrouvées au bord de l’effondrement. Ainsi, l’idée de retourner à Sheffield a pris forme.»

En 1997, le strip-tease, outre le fait d’être le principal élément de comédie du film, était une façon pour ces travailleurs de reprendre possession de leurs corps longtemps exploités au profit d’une croissance économique qui n’a jamais eu lieu, mais aussi de déshabiller la société – parmi les sujets abordés, rares dans un film grand public : la dépression, le suicide, l’homosexualité, le chômage, le divorce… Simon Beaufoy avait réfléchi à l’effeuillage comme «métaphore du désespoir» et «de l’identité qu’un gouvernement indifférent aux effets de sa politique a arrachée à ces travailleurs».

Viré de la série à la suite d’accusations d’agressions sexuelles, Hugo Speer (au centre) n’y apparaît que quelques minutes. Photo : fox searchlight

Les acteurs de l’époque rempilent, eux aussi. Gaz (Robert Carlyle) continue à vivre de petites combines et d’un job à temps partiel dans un hôpital psychiatrique, se baladant dans la ville avec son matelas sur le dos à la recherche d’un endroit où dormir; Dave (Mark Addy) est devenu le concierge du collège dont sa femme, Jean (Lesley Sharp), est devenue directrice; Lomper (Steve Huison), lui, gère difficilement un salon de thé avec son mari, tandis que Guy (Hugo Speer), avec qui Lomper avait eu une aventure dans le film, est aujourd’hui marié avec une femme et a monté avec succès sa propre société. Gerald (Tom Wilkinson) et Horse (Paul Barber) sont tous deux à la retraite; ce dernier, criblé de dettes, voit même sa pension d’invalidité être coupée. Robert Carlyle note que le film, sorti dans les premières semaines du gouvernement travailliste de Tony Blair, accueilli dans la ferveur générale, «surfait sur la vague d’optimisme qui régnait à la fin des années 1990. Bien sûr, cela n’a duré que trois jours. Maintenant, on est revenu à la case départ.»

Tranches de vie

«La vie des plus anciens a été dure ces vingt-cinq dernières années», analyse encore l’acteur, mais durant cette période, «on compte vingt ans de ce que Simon (Beaufoy) appelle les « Young Montys », les plus jeunes personnages, qui se dirigent vers la même merde». Dans la série, on retrouve le fils de Gaz, Nathan (Wim Snape), devenu le parfait opposé de son père – un policier –, qui gagne tout juste sa vie pour survivre, mais pas assez pour acheter à son fils handicapé un nouveau fauteuil roulant. Mais Gaz a aussi une fille adolescente, Destiny (Talitha Wing), qui semble, elle, plutôt suivre le chemin du paternel.

Pendant ce temps, la bande d’origine est rejointe par un nouveau venu, Darren (Miles Jupp), qui a hérité de l’arc narratif de Guy après que Hugo Speer, à peine présenté dans la série, a été évincé après des accusations d’agressions sexuelles. Fermeture de classes d’école, racisme antimigrants, bureaucratie infernale, coupes budgétaires dans les services publics : voilà les nouveaux problèmes auxquels sont confrontés les nouveaux personnages, dans cette ville à l’économie toujours plus précaire. Pour Robert Carlyle, «c’est une bonne chose d’avoir fait cette série. Elle montre ce que les gens traversent afin de survivre jour après jour.»

Un plaisir jamais boudé

Cependant, c’est peu dire que cette série peine à se hisser au niveau de l’original. En 90 minutes, le film présentait, développait et concluait son idée farfelue avec une écriture directe, franche et chargée en sous-entendus politiques. Dans cette suite, le politique est au centre de tout, un réel avantage, mais rien ne vient remplacer le climax spectaculaire. Des sexagénaires qui se déshabillent ? «Personne ne veut voir ça», sourit Robert Carlyle, qui est néanmoins rejoint par ses acolytes dans une scène où, à la demande d’un fan présent dans la salle à l’époque, ils recréent tant bien que mal leur danse sur Hot Stuff de Donna Summer, dans la file d’attente du même «job club» qu’ils fréquentaient alors. Une scène qui tombe comme un cheveu sur la soupe, un peu comme toutes les histoires que l’on suit ici.

On vogue de tranche de vie en tranche de vie : au mieux, c’est vaguement intéressant, au pire, complètement invraisemblable (il est même question d’une affaire de trafic de pigeons de course impliquant la mafia sud-coréenne!), mais on ne boude jamais le plaisir d’être en compagnie de ces éternels «losers» émotionnellement et financièrement instables.

L’humour fonctionne toujours, la tragédie aussi, et The Full Monty semble avoir trouvé une deuxième jeunesse dans un discours réactualisé, conditionnant ses personnages selon un modèle politique toujours plus dysfonctionnel. Ce sont eux qui nous montrent tout ce qui va mal dans ce pays – et tout ce qui s’applique à l’Angleterre est valable pour le reste des pays occidentaux. Après tout, Robert Carlyle le synthétise parfaitement : «The Full Monty, c’est Sheffield, et Sheffield, c’est The Full Monty

The Full Monty, de Simon Beaufoy et Alice Nutter. Disney+.

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