Roland Meyer est le prix Servais 2015 de littérature. Rencontre avec un écrivain hors du commun.
Instituteur, directeur de l’École de théâtre mais aussi musicien, membre fondateur du cabaret Sténkdéier, auteur de cabaret, de manuels d’histoire, d’articles littéraires, Roland Meyer est également romancier. À 52ans, après la publication de nombreux romans pour la jeunesse, il a publié Roughmix aux éditions Op der Lay.
Un livre de 312 pages, en luxembourgeois, qui lui vaut le prestigieux prix Servais qui récompense l’ouvrage littéraire luxembourgeois le plus significatif paru au cours de l’année écoulée. Un prix qui lui sera remis ce soir au centre national de Littérature.
Le Quotidien : Comment vous sentez-vous à quelques heures de la remise du prix Servais?
Roland Meyer : Je suis nerveux. Vraiment nerveux. Recevoir un prix prestigieux comme le prix Servais, c’est quelque chose qui n’arrive qu’une fois dans une vie! Je suis en train de lire et relire mon discours, je le change tout le temps, sans vraiment de raison, mais bon, au moins, ça me calme.
Il y a trois ans, vous avez remporté le Lëtzebuerger Buchpräis, c’est si différent que ça?
Le Buchpräis, c’est un prix remis par les lecteurs, et encore… C’est un prix attribué par les amis. Tous les écrivains essayent d’atteindre le plus de gens possible pour qu’ils votent pour eux. Ça ne dit, finalement, pas grand-chose sur la qualité d’un livre. Le prix Servais, c’est complètement différent. Il y a un jury de spécialistes qui vous choisit. En d’autres termes, recevoir ce prix, c’est une reconnaissance des professionnels. Ça n’a rien à voir.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous éloigner, temporairement en tout cas, de la littérature jeunesse qui vous a fait connaître?
On m’a beaucoup posé cette question. Je ne sais pas exactement quoi répondre. J’y vois deux explications : la première est que mes deux garçons sont désormais grands et ont quitté la maison – un habite désormais à Bruxelles, et l’autre à Berlin. Je n’ai donc plus d’enfants chez moi.
La seconde est que, en tant qu’instituteur, je suis détaché pour le moment au ministère pour m’occuper de la Theaterschoul (NDLR : École de théâtre). Je vais donc toujours dans les écoles, mais je travaille surtout avec les enseignants pour faire des projets de théâtre scolaire. Je n’ai donc plus de rapport direct avec les enfants. Mon environnement, aussi bien personnel que professionnel, a donc changé. Je pense que cela vient de là, mais peut-être que cela n’a rien à voir.
Mais comment est né ce livre, Roughmix ?
C’est difficile à expliquer. En fait, j’écris presque tous les jours dans mon petit carnet de notes. J’ai écrit ce Roughmix principalement pendant les vacances, il est donc sur les vacances. C’est pour ça qu’il y a ce point de vue extérieur sur le Luxembourg et la région. Un point de vue spécial, c’est un peu « le Luxembourg vu de l’étranger ». En fait, je m’éloigne pour en avoir à la fois un point de vue général et plus précis.
Vous écrivez, par exemple, que « le Luxembourg n’est pas le centre de l’univers » et vous vous demandez pourquoi le Grand-Duché a une aussi mauvaise image à l’étranger. C’est finalement une manière de critiquer la société grand-ducale, avec ses avantages et ses travers.
Oui. Bien évidemment que le Luxembourg n’est pas le centre du monde. Mais on vient de le voir lors du référendum, beaucoup de gens, 80 % des Luxembourgeois, n’ont pas cette impression et semblent penser autrement. C’est donc bien de leur rappeler.
Finalement, votre livre c’est une manière pour vous de clamer haut et fort que « Mir wëlle net bleiwe wat mir sinn » (NDLR : « Nous ne voulons pas rester ce que nous sommes », le contre-pied de la devise nationale)?
( Rires )… Il y a de ça. On ne peut jamais rester ce qu’on est. Et c’est normal. Il faut évoluer. C’est assez clair à la fin du livre. L’histoire s’arrête à cause d’un accident phénoménal à Cattenom. C’est un symbole, bien sûr, pour montrer qu’il faut changer, qu’on ne peut pas retourner en arrière, car tout est différent désormais.
Roughmix est décrit comme un livre rock, voire punk. Y a-t-il une musique idéale à écouter pendant qu’on le lit?
Non. C’est surtout pour le rythme du livre qu’on dit ça. Le style est effectivement très rapide, il y a beaucoup de changements de perspective, de sauts dans le temps; c’est un livre qui ne cherche pas nécessairement la perfection. C’est en cela qu’il y a des ressemblances avec le punk. Mais le contenu, c’est tout à fait autre chose.
Qu’allez-vous faire avec les 6 000 euros de dotation du prix Servais?
J’aimerais me payer une traduction du livre, en anglais, français ou portugais; enfin, une des langues qu’on parle au Luxembourg. Ça permettrait à Roughmix de toucher plus de lecteurs, mais c’est très cher de faire traduire un livre, et puis, il faut trouver une maison d’édition, prévoir une nouvelle sortie, refaire de la publicité, et tout ça. C’est mon souhait, mais je ne sais pas si ce sera possible.
Pablo Chimienti
Roughmix de Roland Meyer. Éditeur : Op der Lay.
Les motivations du jury
Le jury du Prix Servais, présidé par Pierre Marson, a motivé son choix avec ces mots :
« Roughmix de Roland Meyer est un roman d’actualité, haletant et divertissant, dont la tonalité désinvolte et la forme délibérément décousue sauront surprendre le lecteur. Plusieurs narrateurs, dépeints dans toutes les facettes de leurs personnalités décalées, se livrent, sans concessions, à des rétrospections sur leur vie au Luxembourg et sur leurs rêves de fuite vers d’autres destinations, qui se révèlent comme autant d’échappatoires stéréotypées et illusoires.
Au travers d’une ironie mordante, fourmillant de clins d’œil et de détails accusateurs, le texte se moque de tout phénomène de mode et questionne toutes formes d’idéologies, qu’elles soient politiques, morales ou littéraires. L’insaisissable composition narrative, qui s’inspire notamment de la musique rock, est associée à un style protéiforme qui mêle écriture romanesque, écriture de l’intime et écriture journalistique.
Le jury a donc décidé de récompenser Roland Meyer pour son travail singulier de l’écriture romanesque, pour le regard cinglant porté sur la société, mais également pour souligner l’important moment d’observation et de réflexion sur la langue et la création littéraire que fournit son œuvre.»
Le palmarès du prix Servais
2015 Roland Meyer
2014 Nico Helminger
2013 Pol Greisch
2012 Gilles Ortlieb
2011 Jean Krier
2010 Guy Rewenig (sous le pseudonyme de Tania Naskandy)
2009 Pol Sax
2008 Anise Koltz
2007 Lambert Schlechter
2006 Guy Rewenig
2005 Jean-Paul Jacobs
2004 Claudine Muno
2003 Jean Sorrente
2002 Guy Helminger
2001 Roland Harsch
2000 Pol Schmoetten
1999 Jhemp Hoscheit
1998 José Ensch
1997 Margret Steckel
1996 Lex Jacoby
1995 Joseph Kohnen (Prix spécial)
1994 Jean Portante
1993 Pol Greisch
1992 Roger Manderscheid