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Retour vers le passé : mémoire(s) et cinéma


Les retrouvailles entre Sylvia (Jessica Chastain) et Saul (Peter Sasgaard), frappé de démence, réveillent des souvenirs douloureux dans Memory (actuellement en salles).

Il y a des retrouvailles qui peuvent réveiller des souvenirs douloureux. C’est le point de départ de Memory, le nouveau film du Mexicain Michel Franco. Et l’occasion, pour nous, de rappeler le grand écran à ses bons souvenirs.

Qui dit «mémoire» dit «retour vers le passé»; qui dit «retour vers le passé» dit «flash-back», à moins d’être dans Back to the Future (Robert Zemeckis, 1985). Le flash-back, en tant que voyage de cinéma, part à la recherche du temps perdu; les images renvoient alors, par analogie proustienne, au temps retrouvé.

Pour citer la comédie bricolo de Michel Gondry, Be Kind Rewind (2008), pléthore de films font dans le rembobinage, comme Forrest Gump (Robert Zemeckis – encore lui, 1994) qui cumule les anecdotes, jusqu’à recréer l’histoire – et l’Histoire. Et ce, pour mieux revenir, à la fin, au présent.

Un (très) long métrage qui voyage dans le temps, en l’occurrence à bord d’un paquebot, c’est Titanic (James Cameron, 1997). Tout repose sur la mémoire de Rose (Kate Winslet), qui raconte son histoire d’amour avec Jack (Leonardo DiCaprio).

Tandis que, dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry – encore lui, 2004), c’est la même Kate Winslet que Jim Carrey cherche à faire disparaître de son esprit, à la suite d’une rupture difficile.

Sauf qu’il n’existe pas d’appareil qui permettrait d’être vierge de souvenirs, à moins d’être, cette fois-ci, dans Men in Black (Barry Sonnenfeld, 1997) avec le fameux «flashouilleur», gadget qui vide le cerveau de sa mémoire.

Devoir de mémoire

Certains films, en revanche, ont été réalisés «pour ne pas oublier». De Schindler’s List (Steven Spielberg, 1993) en ce qui concerne le nazisme, à Hotel Rwanda (Terry George, 2005) à propos du génocide des Tutsis, en passant par Waltz with Bashir (Ari Folman, 2008) sur le massacre de Palestiniens à Sabra et Chatila, dans l’ouest de Beyrouth, il s’agit, pour le cinéma, de faire un devoir de mémoire.

Avec ce dernier film, puisqu’il est question d’animation, ce sont les traits qui reconstituent les faits, jusqu’au dernier plan, dans lequel l’apparition du réel gomme toute illusion de fiction.

Basés ou non sur des faits réels, les films de procès sont également construits à partir de la mémoire, d’Anatomy of a Murder (Otto Preminger, 1959) à Anatomie d’une chute (Justine Triet, 2023). Le huis clos au tribunal est annulé par les multiples sauts dans le passé, pour revenir sur les lieux du crime.

L’angle de vue n’est alors plus seulement relié au cadreur, mais à la version – ou la vision – de chaque personnage, selon sa mémoire, qui devient, dans ce cas, synonyme de vérité, «toute la vérité et rien que la vérité».

Mémoire du spectateur

Dans un film, l’acteur joue, mais le spectateur aussi, quand c’est le réalisateur qui lui fait prendre part au jeu; il le dirige, y compris pour mieux le perdre. Dans Pulp Fiction (1994), The Hateful Eight (2015) ou à plus forte raison encore dans Jackie Brown (1997), Quentin Tarantino s’amuse avec le déjà-vu, en filmant la même situation, à partir d’un autre angle.

Il s’agit alors, pour le spectateur, de voir les choses autrement que… ce dont il se souvient. Mais en parlant de déjà-vu, la comédie culte Groundhog Day (Harold Ramis, 1993) reste la référence en matière de film qui tourne en boucle (temporelle), au point que c’est bien la tête du spectateur qu’il fait tourner.

«La répétition est une forme de changement» disait le musicien Brian Eno, or, The Butterfly Effect (Eric Bress et J. Mackye Gruber, 2004) s’avère répétitif, tout en changeant, en fonction des souvenirs d’Evan (Ashton Kutcher) gravés dans des carnets.

C’est en y replongeant et en les modifiant que le script lui-même se modifie, comme s’il était sans cesse «in progress». Dans le même ordre d’idées, Mr. Nobody (Jaco Van Dormael, 2009) raconte, quant à lui, l’histoire de l’homme aux multiples vies. Et là, le film avance sur un fil tendu entre la mémoire et l’uchronie.

Amnésie et hypermnésie

Si l’amnésie figure parmi les thèmes de films touchant à la maladie et la vieillesse, comme récemment The Father (Florian Zeller, 2020) ou Vortex (Gaspar Noé, 2021), c’est aussi l’argument initial de The Bourne Identity (Doug Liman, 2002) : les trous de mémoire de l’agent secret interprété par Matt Damon forment des énigmes, donc de redoutables ressorts scénaristiques.

Dans Memento (Christopher Nolan, 2000), le personnage interprété par Guy Pearce souffre aussi d’amnésie, mais «antérograde» (l’oubli des événements à mesure qu’ils se produisent). De quoi créer une interaction entre le spectateur, omniscient, et le héros, déficient – flatter l’intelligence du public, voilà une grande spécialité de Nolan.

Enfin, dans La Jetée (Chris Marker, 1962) ainsi que dans son remake américain, 12 Monkeys (Terry Gilliam, 1995), l’excellente mémoire, ou l’hypermnésie, est un superpouvoir. La preuve : elle pourrait sauver le monde.

(Rosario Ligammari)

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