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Quand Toya rencontre Ma Langue Sourit


Les Saint-Jacques aux poireaux de Cyril Molard. (photos Christophe Chohin)

Le restaurant Toya, à Faulquemont, en Lorraine, s’impose année après année comme une des meilleures tables de Moselle, avec son jeune chef Loïc Villemin. Dimanche soir, il s’est allié à Cyril Molard, de Ma Langue Sourit, à Steinfort, pour une expérience culinaire éphémère.

Quand un des meilleurs chefs luxembourgeois, Cyril Molard, de Ma Langue Sourit, se met aux fourneaux avec l’étoile mosellane Loïc Villemin, cela fait des étincelles.

La pratique est de plus en plus répandue. À l’heure des réseaux sociaux, les chefs échangent sans cesse. Au point de faire des quatre mains, parfois des six mains en cuisines. L’exercice peut être passionnant pour eux, entre petits conseils et secrets d’alcôve. Il est aussi risqué car il signifie que l’espace de travail est réduit, qu’il faut travailler avec une brigade inconnue. Pas de quoi pour autant refroidir l’expérimenté Cyril Molard, invité par Loïc Villemin.

« On se connaissait sans se connaître , raconte ce dernier. En début d’année, nous nous étions envoyés les vœux et nous avions parlé de la possibilité de faire un quatre mains. » « Ce qui est intéressant, c’est le partage d’expérience, cela permet de voir les techniques de chacun », ajoute Cyril Molard. Et des paroles aux actes, les deux hommes ont partagé la même cuisine, dimanche, pour une ouverture exceptionnelle du Toya, établissement récemment encensé par le critique gastronomique Gilles Pudlowski (lire ci-dessous).

Saint-Jacques et truite

Comme chaque chef a ses petits secrets, c’est alors l’occasion de percer le parfum d’une sauce ou la tendreté d’une viande. « On apprend des choses sur les cuissons, sur les préparations », reconnaît Cyril Molard. « Les échanges dépassent la simple cuisine, on parle aussi de nos vies », confesse Loïc Villemin.

Dimanche, les deux hommes, amateurs de défis, s’étaient imposé des produits. Loïc de choisir la Saint-Jacques, « parce que c’est la saison », et Cyril de pêcher la truite. Pas de quoi affoler les maîtres. Dans un énigmatique menu à huit plats, les deux hommes s’en donnaient alors à cœur joie.

Loïc Villemin, sur la Saint-Jacques, choisissait des topinambours et des noisettes, face à une version au safran des Vosges et aux poireaux de Cyril Molard.

La Saint-Jacques de Loïc Villemin. (photo Christophe Chohin)

La Saint-Jacques de Loïc Villemin, topinambours et noisettes. (photo Christophe Chohin)

Sur la truite, les deux hommes étaient aux antipodes. Le premier choisissait un poisson brut, avec navet et carottes blanches sur un sabayon au yuzu. Le second misait sur sa maîtrise de la cuisson à basse température. Le filet était recouvert d’une ventrèche de porc et accompagné de champignons. Le reste du menu était réalisé à quatre mains, pour finir sur deux desserts, en toute logique gourmande.

La truite de

La truite de Cyril Molard, recouverte d’une ventrèche de porc et accompagnée de champignons.

La truite de Loïc Villemin, avec navets et carottes blanches sur un sabayon au yuzu.

La truite de Loïc Villemin, avec navets et carottes blanches sur un sabayon au yuzu.

À chaque fois, ce duel amical réjouissait des gastronomes qui se sont pressés au rendez-vous. Sitôt l’annonce de ce quatre mains connue, le Toya s’était rempli en quelques jours. Car ces partages d’expérience ne profitent pas qu’aux chefs. Pour les amateurs, cela multiplie par deux les sensations. Chacun auréolé d’une étoile au Michelin , les deux hommes, ensemble, proposaient une cuisine deux étoiles. Et les quelques détails découverts en cuisine sauront profiter, dès aujourd’hui, aux cartes des deux chefs.

Christophe Chohin

Loïc Villemin, Le créateur de Faulquemont

Loïc Villemin, vous le connaissez! Ce jeune chef de 29 ans, formé à l’Arnsbourg, chez le Bec à Lyon, Loiseau à Saulieu, Lallement à Tinqueux et le Charlemagne à Pernand-Vergelesses, a de l’or dans les mains.

Son style? La création tous azimuts. La situation? Sur le golf face aux greens. Le décor? Zen, neutre, un brin japonisant. Il a gagné son étoile après deux ans d’activité et continue de créer sans s’émouvoir. Chez lui, les plats fusent en tous sens, sont expliqués avec précision, livrés avec mesure. Il y a, en amuse-gueule, les chips de riz bomba façon croustillant de paella, la cecina du Leon au melon façon pickles, le bâton de canne à sucre au mojito façon bâton de réglisse ou encore l’huître fermentée avec son émulsion de champagne, raisin et citron vert.

Ensuite? Les choses sérieuses commencent. Ainsi la daurade en céviche avec pêche de vigne, gelée de sangria, oignon vinaigré, le thon rouge de ligne mi-cuit, son culotté gaspacho de cerises, son fenouil cru, puis le rouget sur écaille frite avec sa purée d’aubergine aux amandes, noisettes, émulsion de coquillages et noisettes fraîches. Vous avez pigé l’animal?

Il y a peu de terroir, même si l’échine de porc confite avec shiso vert en tempura, oignons rouges et émulsion de vinaigre de shiso y ramènent un tantinet. Une Lorraine japonisante? Il y a de ça. Un ancien second du trois étoiles Quintessence à Tokyo est d’ailleurs en cuisine depuis quelques mois. Mais Loïc, qui a des idées bien arrêtées et la ligne du soleil levant en guise de bleu horizon au fond des yeux, poursuit son chemin avec abnégation.

Un service humain et chaleureux

Le bœuf de Savoie de race brune des Alpes avec sa purée de carottes caramélisées et ses carottes braisées fait revoir d’assez insolente façon le «bœuf carottes» d’antan. Et, en issue, les framboises, avec crumble d’olives noires, chocolat et harissa donnent une idée piquante des douceurs d’ici.

La carte des vins est d’une belle lecture. Le château Thuerry comme l’auxey-duresses de Denis Carré font les préludes de classe. Le blanc «hors piste» des Molozay au château de Vaux comme le pinot noir les Clos des mêmes indiquent que la Moselle a enfin son mot à dire dans le concert des grands vins de France. Quant au domaine du Vieux Télégraphe en châteauneuf-du-pape millésime 2003, il couronne de royale façon un menu de grande fête ici même.

Bref, Toya, c’est fou, Villemin un brin génial, Faulquemont un drôle de bout du monde. Et le service, mené de conjointe façon par Denis Clauss, qu’on vit jadis chez Meneau à Vezelay, et Marylène Lopez, la compagne du chef, qui travailla longtemps pour Jean-Marie Visilit à la Grange de Condé puis à la Voile Blanche du Beaubourg messin, donne un côté humain et chaleureux à cette froide capsule spatiale qui s’envole vers de hautes sphères gourmandes. Bref, voilà un lieu à revisiter de près.

Gilles Pudlowski

Très bonne table. Toya, avenue Jean-Monnet, 57380 Faulquemont. Tél. : 0033 387 89 34 22. Menus : 35 euros (déjeuner, semaine), 65 euros, 75 euros, 110 euros. Carte : 90-110 euros.