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Quand le design fond pour le métal !


Le travail du métal est mis en avant à travers quarante objets à la surface éclatante. (photo DR)

À travers quarante pièces de design, toutes en métal, la Konschthal rappelle l’importance de ce matériau pour la Métropole du fer et détaille le savoir-faire et les nouvelles techniques propres à son appropriation artistique.

D’un côté, le passé. De l’autre, l’avenir. La Konschthal, avec cette première grande exposition thématique depuis son ouverture en octobre 2021, est coincée entre deux temporalités. Il y a d’abord ce regard en arrière mettant à l’honneur l’histoire industrielle de son fief, Esch-sur-Alzette, surnommée la Métropole du fer en raison de son activité, anciennement florissante, dans la métallurgie. Il y a ensuite, bien sûr, en tant qu’espace dédié à l’art contemporain, ces projections sur les expérimentations artistiques nouvelles. Installée en lieu et place d’un show-room d’aménagement immobilier, la Konschthal ne pouvait finalement que se tourner vers le design pour s’affirmer au présent. C’est désormais chose faite avec «Metalworks – designing & making».

 

Tout tient ici au titre. C’est en effet le travail du métal, dans sa plus grande diversité, qui est mis en avant à travers quarante objets à la surface éclatante, s’inscrivant parfaitement dans le décor d’acier «pur jus» de la Konschthal. «Explorer le design moderne sera l’un des fils rouges de cette institution dans le futur», promet l’un des deux commissaires, Georges Zigrand (déjà à l’œuvre au Mudam pour «Mirror mirror : cultural reflections in fashion»). Et histoire de faire d’une pierre deux coups, cette réunion hétéroclite souligne l’importance (et la nécessité) du «patrimoine et du savoir-faire industriels» de la ville, dixit la seconde commissaire, Charlotte Masse, «héritage» et transmission parfois sacrifiés sur l’autel de la modernité.

L’échec peut aussi être exposé

Dans une scénographie appropriée (rien aux murs, tout au sol!), l’exposition, voulue «pédagogique et éducative», ne révèle pas moins de seize sections, dont chacune illustre une méthode de transformation bien particulière du métal : des techniques à la fois artisanales (coulage, martelage, découpage), avancées (usinage, superformage), basées sur la technologie numérique (impression additive) ou encore inventives (électroformage, gonflage). Même les échecs sont montrés, comme la pièce de Thomas Heatherwick, mi-banc, mi-fuselage. «C’est l’un de ces artistes qui remettent en question la manière dont les choses sont faites, explique Georges Zigrand. Ici, il a poussé la technique de l’extrusion dans ses retranchements. Et parfois, ça ne marche pas !»

Je veux que le processus soit communiqué dans l’objet final. L’esthétique est une conséquence de la fabrication

C’est d’ailleurs l’un des intérêts de cet ensemble : certains objets délaissent parfois leur caractère fonctionnel au profit de qualités sculpturales (et écologiques, ce qui ne gâche rien). Fabriqués de manière artisanale (prototype) ou industrielle (en série), ils ont tous néanmoins un point commun, comme le résume le commissaire : «Ils ont une qualité intrinsèque qui explique la façon dont ils sont transformés.» Comprendre que leur forme explique, en creux, la technique utilisée. Un des designers présents dans l’exposition, le Britannique Max Lamb, a trouvé la juste formule : «Je veux que le processus soit communiqué dans l’objet final. L’esthétique est une conséquence de la fabrication.»

Quand le COSL a la flamme

Sa Nanocrystalline Copper Chair (2010) est un exemple parlant, dévoilant une forme «molle» obtenue par le biais d’un processus d’électrodéposition de particules de cuivre. D’autres curiosités sont aussi visibles : notamment celle prêtée par le Comité olympique et sportif luxembourgeois (COSL), soit une espèce de tulipe qui composait, avec celles des 203 autres nations participantes, la grande vasque dans laquelle a brûlé la flamme olympique. Dans le lot, saluons également les splendides propositions «gonflées» d’Oskar Zieta.

Un peu plus loin, après un passage devant les œuvres des stars du design que sont les frères Ronan and Erwan Bouroullec ainsi que d’autres artistes plus anonymes (dont le Luxembourgeois Christophe de la Fontaine), il convient d’apprécier la chaise du Joris Laarman Lab, aux détails baroques millimétrés à la Wim Delvoye, permis grâce à l’imprimante 3D (difficile, en effet, d’obtenir le même résultat à l’arc à souder). À ses côtés, une sorte d’hélice de bateau tout aussi soignée, seule pièce finalement qui n’a rien à voir avec le mobilier. Une nouvelle preuve que le design peut s’apprécier juste pour sa beauté et sa poésie.

«Metalworks – designing & making»  Konschthal – Esch-sur-Alzette. Jusqu’au 4 septembre.

Jeppe Hein :
quand l'art est un jeu

Passer la porte et suivre sa boule au cœur d’une imposante machinerie… Voilà une proposition d’une simplicité sans pareille, imaginée en 2004 par Jeppe Hein, artiste danois au sourire mutin et aux idées ludiques. Au Luxembourg, comme dans d’autres endroits dans le monde, on le connaissait déjà pour ses bancs déformés («Modified Social Benches»), sur lesquels il est difficile de s’installer et de trouver le repos. Farceur, il aime que le public soit au centre de ses créations, comme à travers ses grands labyrinthes virtuels. Celui imaginé pour la Konschthal est lui bien réel et s’articule autour de rails métalliques repartis sur trois étages, traversant les coins et recoins de l’établissement.

Calquée sur le modèle des circuits de billes, en vogue à l’époque dans les cours d’école, «Distance» est une installation doublement symbolique. D’un point de vue pragmatique, son titre suggère un parcours, en l’occurrence celui opéré par la boule sur presque un kilomètre, au gré des virages, des montées et des descentes. «Il faut trouver avec elle le chemin. C’est le but!», précise Christian Mosar, le directeur de la Konschthal. Dans une approche plus théorique, l’appellation raconte l’ambition première de Jeppe Hein : «Avec lui, l’art contemporain n’est pas seulement esthétique : c’est une expérience de vie globale» qui transforme le musée en un «espace de jeu» dans lequel le visiteur «est impliqué», explique le commissaire de l’exposition. «Il n’y a alors plus cette peur ou cette distance» que peut inspirer une institution culturelle.

Une démarche qui trouve ses origines dans les théories d’un philosophe néerlandais, Johan Huizinga (1972-1945). Pour lui, le jeu – et plus généralement, la faculté de l’être humain à jouer – est à l’origine de tout un pan des cultures de l’humanité. À Homo sapiens (l’intelligence) et Homo faber (le travail), il ajoute une troisième catégorie : celle d’«homo ludens», propre à «l’imaginaire, l’inventivité et le non-réglementaire». Il définissait alors le jeu comme «une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité» – et c’est en cela qu’il intéressa les situationnistes après-guerre. Oui, jouer, c’est aussi comprendre! Ce squelette métallique, «spectaculaire et grand public», en est une belle démonstration.
G. C.

«Distance » – Jeppe Hein Konschthal – Esch-sur-Alzette. Jusqu’au 4 septembre.