Transformer le chocolat fourni par quelques industriels, toujours les mêmes, ne leur suffit plus. Par souci d’authenticité, de plus en plus d’artisans chocolatiers veulent produire eux-mêmes leur matière première à partir de fèves de cacao, en redécouvrant des techniques oubliées.
Torréfaction, broyage, ajout de sucre, malaxage à chaud… Autant d’étapes, de variables, où s’exprime la patte de l’artisan, le distinguant des fabrications standard. « Si on donne les mêmes fèves à un autre chocolatier, le résultat sera forcément différent », souligne Patrick Gelencser de la Roche-sur-Yon (Vendée) qui s’est lancé dans l’aventure il y a quatre ans.
A l’époque, « nous n’étions pas nombreux. Maintenant, c’est à la mode, en France et un peu partout dans le monde », relève ce fils et petit-fils de chocolatier. « On en est désormais à une vingtaine en France et j’en compte au moins cinq qui vont se lancer l’an prochain », confirme Valentine Tibère, ancienne journaliste reconvertie « chocolatologue ».
Autrefois, tous les chocolatiers fabriquaient leur propre chocolat, mais, par facilité ou souci d’économie, la pratique s’est perdue. Elle ne subsistait pour l’essentiel qu’en Auvergne-Rhône-Alpes autour des historiques Bernachon (Lyon), Pralus (Roanne) ou Bonnat (Voiron). Venue des États-Unis, la mode du « bean-to-bar » (de la fève à la tablette) l’a complètement relancée.
Ce club de producteurs très fermé – et pas forcément très uni – s’est élargi récemment à la chocolaterie Sève, qui a ouvert à Limonest, aux portes de Lyon, un atelier-musée dédié au cacao.
« La politique de la maison a toujours été de tout produire nous-mêmes de A à Z, mais jusqu’ici ce n’était pas possible pour le chocolat », raconte Richard Sève. « Ce qui est magique, c’est de partir d’une matière brute et d’en faire du chocolat en ajoutant juste un peu de sucre ». « On ne veut pas quelque chose de lisse. On veut sentir le terroir », ajoute cet entrepreneur, parti de rien en 1991 et à la tête aujourd’hui de sept boutiques et 47 personnes.
Le visiteur peut voir derrière une vitre travailler d’antiques machines d’un beau rouge vif. Récupérées en Allemagne et en Italie, « elles étaient toute rouillées » avant d’être restaurées et remises aux normes. Dans l’atelier, les fèves sont torréfiées, puis débarrassées de leur pellicule et écrasées, pétries avec du sucre, raffinées et malaxées pendant 24 à 72 heures pour faire ressortir les arômes.
Contrôler la provenance
Les fèves de cacao sont achetées en Amérique latine et à Madagascar auprès de planteurs rencontrés lors des salons du chocolat, comme celui qui s’ouvre samedi à Paris.
« Les prix sont intéressants pour les planteurs mais ce ne sont pas de gros volumes », souligne Patrick Gelencser. « Dans le chocolat industriel, ceux qui récupèrent la plus grosse partie de la valeur, ce sont les +traders+. Nous, on noue des liens avec les planteurs pour leur rendre cette valeur », abonde son homologue lyonnais.
Le terrain de jeu de ces amoureux du chocolat ne cesse de s’agrandir avec la découverte continuelle de variétés de cacaoyers au-delà des trois historiques (criollo, forastero et trinitario) et l’arrivée de nouveaux pays producteurs, tel le Vietnam.
Gardien sourcilleux de la tradition, Stéphane Bonnat fait la fine bouche devant cette « galaxie de nouveaux venus qui, pour certains, prétendent plus qu’ils ne fabriquent ».
Pour avoir du très bon chocolat, il faut « avoir le contrôle de la provenance du cacao » en se rendant sur place, vérifier que les fèves sont « fermentées et séchées selon des cahiers des charges très précis ». « Tout cela est très cher », relève-t-il, fort de relations de confiance nouées par sa famille depuis 160 ans avec des associations de planteurs.
« Comment voulez-vous que ces nouveaux arrivants qui découvrent les principes de la torréfaction, du broyage et autres, puissent en plus s’investir en amont sans avoir gagné au loto ? C’est impossible », lance M. Bonnat.
Produire son chocolat, « c’est un peu une danseuse », concède M. Gelencser. « Ca coûte beaucoup moins cher de l’acheter, mais quand on est passionné, on ne compte pas… ».
Le Quotidien / AFP