La décision du Printemps de Bourges, qui démarre ce mardi, de se tourner vers le streaming prive le public, musicalement mais aussi humainement, de tout ce qui caractérise précisément un festival de musique.
Des initiatives lancées par les artistes (comme, au Luxembourg, le Live aus der Stuff et les Crazy Quarantine Sessions) aux festivals en ligne, il n’y a, en apparence, qu’un pas. Mais on devrait plutôt parler d’un fossé, tant les deux formats, dans le fond comme dans la forme, n’ont rien en commun.
Lancer un festival-évènement comme le Printemps de Bourges en ligne, en ayant réussi l’entreprise dingue de rallier à sa cause la plus grosse partie de la programmation, est, convenons-en, remarquable, mais elle redéfinit avant tout une façon d’apprivoiser la musique «live» qui n’a, en fait, pas du tout besoin de cela. Qui plus est, à moins de trois semaines du début du déconfinement.
S’il n’était question que de raisons sanitaires, repousser les dates de tenue à la fin de l’été serait envisageable pour un certain nombre de festivals. Pour les autres, l’annulation, pure et simple.
Dommage, oui, mais peut-il réellement y avoir festival sans les conditions adéquates ?
Lorsque – dans un autre registre – Cannes expose l’avenir incertain de son édition 2020, ou quand Avignon décide d’annuler, c’est moins par fierté que par bon sens. Comprendre que si internet rend possible d’assister aux évènements prévus (concerts, spectacles, projections), il en ôte toute son essence, à savoir celle d’être un «festival», c’est-à-dire, étymologiquement, une «période de fête».
Or, c’est justement les festivals de musique, ceux de printemps et d’été, qui portent encore en eux la meilleure définition de cette période de fête. En dehors de la certitude presque évidente que cette version en ligne du Printemps de Bourges ne rejoindra pas les 200 000 visiteurs dont le festival se targue, à raison, de recevoir annuellement, d’autres obstacles viennent entraver le courage de cette décision.
Le chant des sirènes mis en sourdine
Parlons par exemple des artistes émergents, qui se retrouvent dans l’impossibilité de donner un véritable concert (dans leur premier festival, et, pour certains, parmi leurs premières expériences de la scène) devant un public. Aller à un festival de musique commence d’abord par l’envie créée par une programmation alléchante, mais une fois sur place, comme pour tout festival qui se respecte, on n’a aucun scrupule à changer nos plans, annuler ceci pour aller voir cela…
Et, bien sûr, être attiré, comme Ulysse par les sirènes, par le son d’un groupe, au détour du chemin qui va du point d’eau à un point B, et prendre plaisir à découvrir le rap amusant de gamins de 18 ans, l’electro hantée d’une jeune fille tatouée jusque dans le visage ou le rock agressif de novices aux cheveux longs à peine sortis de leurs études…
Non, internet ne permet rien de cela, et il est fort incertain que le public confiné cliquera plus facilement sur le nom d’un groupe dont il n’a jamais entendu parler que sur ceux, mieux ancrés dans les esprits, de Jeanne Added ou Philippe Katerine. Sans oublier bien sûr que le remplacement d’un festival en plein air par le même festival à la maison prive le public des rencontres, chose essentielle, que l’on fait ponctuellement durant un concert, dans la file d’attente du snack, au camping.
Des amis d’un soir ou d’une heure, des amours d’une nuit ou «le temps d’une chanson», comme le chantait Gainsbourg, et d’autres aventures encore, psychédéliques ou spirituelles, que la légalité interdit de promouvoir, voilà tous les éléments essentiels à la tenue d’un tel festival. Ne reste alors que la musique, déshumanisée, elle aussi, tristement. Ce n’est pas le lendemain des attentats du 13 novembre, où aller en terrasse était une sorte d’acte militant. Repenser le Printemps de Bourges pour qu’il ait quand même lieu n’a rien d’une action destinée à faire vivre la culture coûte que coûte face à la crise sanitaire. C’est proposer une solution – ce qui est certes mieux que ne rien proposer du tout – mais une solution faussée, glaciale, et qui renvoie toujours plus le spectateur confiné à son enfermement. «Il n’y a pas de printemps sans Printemps de Bourges», dit le site internet de l’évènement. Mais il n’y a pas de festival non plus.
Valentin Maniglia