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«Poor Things», la fable fantastique qui refuse d’être prude


Le couple créatif Emma Stone - Yorgos Lanthimos est désormais bien établi. Pourtant, «nous sommes opposés à presque tous les points de vue», rit l’actrice. (Photo : Yorgos Lanthimos/Searchlight Pictures)

Dans Poor Things, un Frankenstein au féminin, Emma Stone incarne une créature candide qui fait son éducation sentimentale et sexuelle dans un monde contrôlé par les hommes.

Emma Stone explose les carcans hollywoodiens de la pudeur dans Poor Things, signé de l’agent provocateur grec Yorgos Lanthimos (Dogtooth, 2009; The Lobster, 2015), en salles demain. Le film a été auréolé du Lion d’or à la dernière Mostra de Venise et a décroché dimanche dernier deux des principaux Golden Globes : meilleur film et meilleure actrice, dans la catégorie films de comédie.

Porté par le succès de la comédie noire en costumes The Favourite (2018), déjà avec Emma Stone, Lanthimos plonge son actrice (et productrice) dans un univers plus baroque que jamais, entourée d’autres stars telles que Willem Dafoe ou Mark Ruffalo. Le réalisateur poursuit également sa collaboration avec le dramaturge australien Tony McNamara, dont on retrouve l’humour noir qui avait déjà marqué son scénario de The Favourite.

Dans Poor Things, l’actrice – qui peut viser un deuxième Oscar après celui obtenu pour La La Land (Damien Chazelle, 2016) – revêt le costume de Bella, une chimère au corps de femme adulte mais au cerveau de bébé, fabriquée par un obscur scientifique au visage rafistolé qui se fait appeler «Dieu», Godwin Baxter (Willem Dafoe).

Celui-ci veille jalousement sur sa créature, qu’il entend élever à l’abri des passions amoureuses, dans sa vaste maison laboratoire de Londres. Quand Bella s’échappe de sa cage dorée au bras d’un homme (Mark Ruffalo), elle parcourt le monde et va découvrir tout en même temps, et sans aucun préjugé, le plaisir, le sexe et les sentiments.

 

Ses relations avec des hommes, notamment dans un bordel parisien, sont autant de façons d’apporter des touches humoristiques ou de pointer les rapports de domination. Le personnage a «un esprit qui peut se lancer librement, sans honte ni préjugés, sans expérience du monde», avait souligné Yorgos Lanthimos, en marge de la présentation du film à Venise.

Cet univers fictionnel, aux allures rétrofuturistes, est en fait «extrêmement contemporain, (et permet de) parler de liberté, de la façon dont on ressent le monde, de la position des femmes dans la société, et des hommes», a-t-il ajouté.

Lanthimos rencontre Gray

Poor Things est le huitième film de Yorgos Lanthimos, mais son envie de porter à l’écran ce roman d’Alasdair Gray – dont l’écriture est réputée hermétique à toute adaptation – remonte à la fin des années 2000, quand le pape de la «weird wave» grecque s’est imposé sur la scène internationale. «Le roman d’Alasdair Gray m’avait immédiatement frappé», se remémore Lanthimos.

«Je n’avais jamais rien lu qui ressemble à cela (…). Gray, qui était un peintre, avait accompagné son texte d’illustrations. C’est principalement l’histoire d’une femme libre au sein de la société.» Sur recommandation du réalisateur, Tony McNamara a lui aussi découvert Alasdair Gray avec Poor Things : un roman «malin intellectuellement, sombre, surprenant et drôle – la chose la plus importante pour Yorgos et moi. Le livre est bourré d’idées sur les questions de genre et d’identité (…). On est dans un monde incroyablement riche, philosophiquement et politiquement, et, en même temps, on rit terriblement», analyse le scénariste.

Une rencontre chez l’écrivain écossais en 2009 a impressionné tant Yorgos Lanthimos qu’Alasdair Gray : «Il avait vu Dogtooth et, à mon arrivée, m’a glissé : « Un ami m’a mis en route le DVD, car je ne sais pas comment fonctionnent ces trucs-là. Quoi qu’il en soit, jeune homme, je vous trouve très talentueux »», s’est remémoré le cinéaste grec.

À Glasgow, Lanthimos obtient les droits d’adaptation du roman, et l’auteur, alors âgé de 75 ans, lui fait visiter les lieux de la ville qu’il a insérés dans son roman. Andrew Gray se souvient que son père «avait plusieurs fois refusé des offres pour adapter le roman au cinéma. Aladsair était impressionné que Yorgos ait pris le temps de le rencontrer personnellement. C’était la façon préférée, pour mon père, d’avoir une conversation : marcher, et montrer la ville dans laquelle il a vécu toute sa vie.» Alasdair Gray est mort en 2019, à Glasgow, à 85 ans. Yorgos Lanthimos, lui, a tourné Poor Things à Budapest, mais jure être resté fidèle à l’esprit de l’écrivain.

Le tandem bientôt de retour

L’éducation sexuelle de Bella Baxter est montrée sans fard : «C’était important pour moi de ne pas faire un film prude, car ça aurait été trahir le personnage principal», a souligné le réalisateur. «Le personnage n’a pas de honte, ni Emma (Stone), sur son corps, sa nudité», a-t-il ajouté, soulignant avoir fait appel à un coordinateur d’intimité pour les scènes de sexe, un métier assez nouveau qui à l’origine «semblait un peu menaçant pour les cinéastes, mais (qui) rend les choses plus simples».

Habitué de Cannes et de Venise, réalisateur au style sombre et étrange reconnaissable entre tous, Yorgos Lanthimos a tourné ses quatre derniers films en anglais avec des stars au casting, et forme désormais un couple créatif bien établi avec Emma Stone. Pourtant, «nous sommes opposés à presque tous les points de vue», rit l’actrice. «Il est très mesuré dans son approche, tandis que je veux juste rire et m’amuser. Former un tandem nous a choqués tous les deux, mais c’est aussi l’un des plus beaux cadeaux de ma vie. J’admire Yorgos plus que les mots ne peuvent le décrire.»

Et alors que Poor Things sort en salles, Lanthimos finalise le montage de son prochain long métrage, Kinds of Kindness, que l’on peut d’ores et déjà s’attendre à voir en compétition à Cannes au mois de mai. En tête d’affiche ? Une certaine Emma Stone. «Ce sera un film très différent», prévient le réalisateur. «Il s’agit de trois histoires contemporaines avec une distribution d’ensemble de sept acteurs, qui ont un rôle différent dans chacune des trois histoires.»

Poor Things, de Yorgos Lanthimos. Sortie mercredi.

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