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[Musique] « Pleasing » évacue ses tourments dans son premier album


(Photo : konektis entertainment)

Sous le nom de Pleasing, Patrick Miranda, 23 ans, fait crier la guitare pour parler de ses démons intérieurs et ceux de toute une génération désabusée. Son premier album, percutant, témoigne du pouvoir cathartique de la musique. Rencontre.

Être vrai, authentique. Dès qu’il le peut, Patrick Miranda souligne l’honnêteté de son projet, né il y a trois ans en plein chaos. Non, malgré son univers esthétique léché, il ne fait pas semblant, ne joue pas. Au contraire, Pleasing se veut ancré dans la réalité, témoin de ses luttes intérieures et souffrances. Les siennes mais également celles de toute une génération, comme le confirme le dernier rapport de l’Unicef, sorti cette semaine, alertant sur le bien-être mental d’une jeunesse secouée par la pandémie, appréhendant un avenir plus que nébuleux.

Après une expérience « métallique » au sein du groupe Awakening the Seasons et auteur jusqu’alors de deux EP quasi instrumentaux (Polara et 1 & 2), le jeune guitariste s’est senti le besoin de mettre ses névroses sur la table, s’emparant du micro pour raconter son histoire.

Le tendant aussi à d’autres, comme il l’a fait en avril dernier avec The Moody Room Show, l’une des émissions les plus regardées sur la plateforme locale KUK. Panser ses plaies, et se dire que l’on n’est pas seul dans la tourmente, voilà son idée derrière Pleasing qui, depuis quelques jours, a concrétisé cette envie d’aller de l’avant avec un premier album au nom qui en dit long : In the Mood for Super Dark Times.

Si Patrick Miranda se met à nu dans l’écriture, sur scène et en studio, il s’appuie sur deux solides musiciens – Sacha Ewen (batterie) et Xavier Hofmann (basse). Un trio qui concocte une musique en équilibre entre les styles, hésitant entre le metal, le heavy, le post-rock et le math-rock, mélangeant riffs percutants et ambiances atmosphériques, le tout dans une instrumentation dense et un soin scrupuleux dans la technique. Un univers à part, dans le fond comme dans la forme, que Patrick Miranda décortique. Entretien.

Il est difficile de parler de Pleasing sans aborder d’abord la guitare, élément central de votre projet. Elle en dit beaucoup sur vous, non ?

Patrick Miranda : Oui, c’est certain. J’ai toujours voulu être musicien, et la guitare m’accompagne dans ce rêve qui m’anime depuis tout petit. C’est un instrument qui me correspond bien, car on peut facilement y exprimer ses émotions, ses pensées… Et puis, j’ai toujours écouté de la musique où elle prenait toute la place. Dans ce sens, mes deux premiers EP (sortis en 2018 et 2019) sont purement instrumentaux (NDLR : en dehors d’un featuring avec Jimmy Risch).

Justement, là, vous vous emparez du micro. Était-ce devenu une nécessité ?

D’une certaine manière oui, surtout quand on veut donner plus de poids à un projet. Attention, Pleasing n’a jamais eu la vocation d’être seulement instrumental, mais jusqu’à maintenant, mettre une voix sur la musique ne s’imposait pas. Toutefois, rapidement, je me suis demandé comment entraîner plus en profondeur les gens dans mes idées, faire passer directement un message. Je me suis alors mis à écrire et à chanter, mais pas dans le sens classique du terme. J’en suis incapable ! D’où mon choix d’aller vers le « spoken word« , le « slam«  poétique et bien sûr, le cri.

Il y a aussi tous ces sons ou ces voix rapportées, qui s’incrustent discrètement sur les morceaux…

C’est que je donne de l’importance au paysage sonore. C’est même une obsession. Quand je me balade, dès que j’entends un son intéressant, je sors mon téléphone et j’enregistre ! J’aime capturer, immortaliser des moments spécifiques pour ensuite l’incorporer dans la musique. Par exemple, à la fin du titre Hanging, on entend un bruit strident qui s’étire : c’est celui de ma boîte à lettre rouillée ! (il rit). Disons que pour l’ambiance, ça offre des possibilités.

Dans le même ordre d’idée, Pleasing n’avait-il pas la vocation, par ses thèmes intimistes, de rester un projet solo ?

Tout à fait. Dès le départ, j’ai voulu porter mes idées tout seul. Déjà parce que mon expérience en groupe n’était pas des plus réussie. Ensuite, comme je mets toute ma force, toute ma personnalité dans la musique, c’est compliqué de trouver les bonnes personnes qui partagent cette vision sans compromis. Mais bon, j’ai dû me résigner, car je me voyais mal écrire des parties de basse ou de batterie. C’est juste impossible !

J’avoue : je suis fan de Britney Spears et d’Usher!

Faire cet album, ça a été une sorte de thérapie

In the Mood for Super Dark Times, sorti il y a une semaine, hésite entre les styles et les humeurs, par vraiment metal, ni rock ni atmosphérique. Était-ce voulu ? 

Non, c’est sorti comme ça ! Sûrement parce qu’il est le résultat d’une longue ouverture musicale. Moi, par exemple, j’écoute toute sorte de musique, même la pop. J’avoue : je suis fan de Britney Spears et d’Usher ! J’aime en effet les mélodies, les formules simples, mélancoliques même, comme la technicité du jeu de guitare, des choses minutieuses, complexes et parfois bruyantes. Ces allers-retours me vont bien. Et tant mieux si j’offre quelque chose de nouveau.

Pourriez-vous définir succinctement ce premier album ?

(Il réfléchit) C’est un album cathartique, tout en énergie, lourd, percutant. Sa dynamique, c’est un peu comme sur les montagnes russes : ça monte haut, mais ça redescend aussi vite.

Est-ce pour cette raison qu’il court sur 35 minutes à peine ?

Là aussi, c’est arrivé naturellement, dans une rythmique qui m‘est propre. Quand j’écris une chanson, je sais quand elle démarre et quand elle s’arrête, et ça dépasse rarement les cinq minutes. Du coup, quand on écoute l’album d’une traite, de bout en bout, on a comme besoin de reprendre son souffle. Il a une vraie densité et intensité. Mais attention, le discours n’est pas pour autant tronqué : on peut dire beaucoup de choses en peu de temps !

On y arrive… Pleasing évoque les névroses, parle de souffrances et de comportements toxiques, mais aussi de la possibilité de les assumer et les dépasser. Ce nom, il est d’ailleurs un peu ironique, non ?

Au début, je voulais appeler ce projet « Ugly Pleasing« , histoire de ne tromper personne (il rit). Et j’aimais bien cette dualité, qui se retrouve dans la musique entre les parties dissonantes et celle plus attirantes, mélodiques. Mais bon, l’ironie l’a en effet emporté !

Est-un sujet personnel, intime, ou le cri de toute une génération que vous portez ?

Les deux. Personnellement, j’étais en proie à de vives émotions en 2019. Des temps sombres pour moi : j’étais dans un boulot qui me déprimait et la même année s’est achevée une longue relation amoureuse. J’étais au plus bas, au point de vouloir en finir… J’ai terminé à l’hôpital pour deux semaines. C’était dur, mais j’ai alors ressenti le besoin d’en parler, de sortir toutes ces choses de moi. C’était vital, pour moi, mon entourage, mais aussi peut-être utile pour ceux qui traversent de mêmes moments difficiles.

In the Mood for Super Dark Times, est-ce un album cathartique ?

Clairement. C’est un album très personnel, qui parle de mes questionnements, de mes choix. Qui dit aussi que l’on a le droit d’être triste, en colère, déprimé… Quelque chose d’authentique, de vrai, qui vient du cœur. Je me suis d’ailleurs longtemps demandé si je devais sortir cela, ou juste les garder pour moi. Finalement, ça a été une sorte de thérapie. Et j’ai écrit ce disque durant la pandémie et le confinement : c‘était encore une autre manière de voir le monde et soi-même.

Vous avez reconnu que Pleasing est aussi un projet qui parle des jeunes de votre génération…

Mes amis, et un paquet de jeunes, plus ou moins âgés, sont assez déprimés, anxieux. Ce n’est pas un avis, c’est un fait! Regardez les nouvelles, par exemple : tous les jours, on nous annonce que des gens meurent, que les guerres font des ravages, que le climat se détériore… Les perspectives positives manquent ! Ça marque en profondeur, ça peut même vous mettre à terre et il faut savoir gérer. Mais heureusement, tout n’est pas si négatif : des mains sont tendues, comme au Luxembourg à travers de nombreuses associations qui permettent à des jeunes en difficulté de savoir quoi faire, ou vers qui se tourner quand ça va mal. Oui, c’est un monde de merde, mais il faut savoir traverser l’obscurité et tendre vers la lumière !

Avec ce disque, avez-vous réussi, justement, à aller vers la lumière ? 

Je suis heureux en tout cas!  C’est mon véritable premier album. Et tout me plaît dans ce disque, de la production (NDLR : assurée par Cédric Fischer) à la performance des musiciens. Et je suis très satisfait d’avoir pu écrire des textes aussi personnels, et ne pas en avoir honte. Ce disque, c’est ce que je suis et je pense à 100 %. Il n’y a rien de faux là-dedans !

Avez-vous déjà eu des retours, depuis sa sortie le 1er octobre ?

Beaucoup, oui. Certains ont bien saisi les propos, et se sont reconnus dans mes paroles. D’autres m’ont dit que ça leur faisait du bien, même si ça leur arrivait de pleurer. D’autres, selon leurs messages, se sont plongés pour la première fois dans une musique plus agressive. D’autres, bien sûr, n’ont pas du tout aimé ! Toutes ces réactions, c’est énorme pour moi.

De quoi, donc, le fêter sur scène…

Je suis très excité. J’espère que ça va être des moments spéciaux, et beaux. Mon souhait? Que tous les gens se retrouvent ensemble, sans jugement, vulnérables mais sans honte de l’être. Qu’ils soient juste fiers de ce qu’ils sont.

Festival «Out of the Crowd»
Ce samedi à partir de 18 h. 
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.
www.ootcfestival.com

«Release party»
Samedi 16 octobre à 20 h.
Rotondes – Luxembourg. 
Support : Only 2 Sticks

Gregory Cimatty