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Photo : le choc des mondes à Arles


Les rencontres internationales de la photographie proposent cette année, à Arles, jusqu'au 20 septembre, les perceptions croisées sur différents mondes. (Photo Edward Shore/303 gallery)

Les rencontres internationales de la photographie proposent cette année, à Arles, jusqu’au 20 septembre, les perceptions croisées sur différents mondes, qui, parfois, se rencontrent sans se voir.

Les rencontres internationales de la photographie sont toujours difficiles à résumer. Comment, dans un patchwork d’œuvres d’auteurs du monde entier, trouver un fil conducteur ? Pourtant, cette année, une photo y parvient. Elle est signées du duo Paolo Woods et Gabriele Galimberti et on peut la découvrir à l’exposition «Les Paradis», au Palais de l’archevêché, consacrée aux paradis fiscaux. Elle montre un Indien des Caraïbes passant devant un groupe de jeunes qui font la fête sur la plage. Dans l’indifférence, le représentant de ce peuple premier se confronte à ces incarnations de la réussite, selon les standards établis.

Et ce n’est sans doute pas un hasard si, à quelques pas, dans le superbe cloître Saint-Trophime, sont exposés les exceptionnels clichés d’un ethnologue allemand, le Père Martin Gusinde. Au début du XXe siècle, celui-ci avait compris l’urgence d’immortaliser sur pellicules les derniers Amérindiens de la Terre de Feu, en Argentine et au Chili.

Déjà sous la coupe des missionnaires, en partie convertis, ces peuples conservaient alors les traces de leurs croyances ancestrales. Dans un noir et blanc d’une rare pureté, l’explorateur avait saisi ce qui pouvait encore l’être. Des portraits d’une profonde mélancolie, les derniers de populations qui allaient rapidement être décimées par les maladies apportées par les colons et l’alcool.

La terreur de l’intime

Cette fin de l’innocence, on la retrouve dans l’étonnant travail du collectionneur Jean-Marie Donat qui, depuis vingt-cinq ans, constitue des sommes sur des thèmes très particuliers. Dans la Chapelle de la charité, on découvre ainsi trois de ses séries, touchantes et glaçantes. L’un d’elle montre des photos qui ont pour thème commun la présence d’un personnage déguisé en ours blanc. Elles ne sont pas liées, souvent légères. Mais en se penchant sur la collection, on découvre par ici une croix gammée sur le pull d’un enfant, par là des officiers SS. Quand l’innocence rencontre l’horreur.

Une autre série montre des familles américaines qui s’adonnaient à la mode des black faces et se grimaient en noir pour singer les idées reçues sur cette population alors ségréguée aux États-Unis : on peut voir des familles apparemment normales imitant des chanteurs de jazz ou de gentils sauvages. Terrifiant.

C’est à ce stade que les photos de Walker Evans, dont le travail a inondé les magazines américains de l’entre-deux-guerres, et de son héritier, Edward Shore, prennent une dimension toute particulière. Le travail quasi journalistique de Walker Evans, qui photographiait méticuleusement son temps, laisse deviner en arrière-plan le malaise du miracle américain.

Un miracle qu’Edward Shore ne montre pas, concentré sur cette Amérique rurale, presque normale, loin des grandes villes comme Las Vegas, dont on découvre, stupéfaits, ce qu’elle a pu être avant l’édification des délirants casinos du Strip, dans l’exposition de Robert Venturi et Denise Scott Brown, professeurs d’architecture qui ont immortalisé cette ville si particulière.

À côté de cette capitale du mauvais goût, une exposition montre le travail des bâtisseurs de cathédrales, dans des clichés de l’exposition «Façades», réalisés par Markus Brunetti. Soigneusement retouchées grâce au procédé de grande gamme dynamique, ces images montrent que, porté par la transcendance, l’homme est aussi capable de beauté. Un espoir, une générosité qu’on retrouve aussi dans la folle exposition consacrée aux photographes japonais, «Another Language», qui montre l’archipel sous un jour méconnu, tragicomique et souvent touchant.

Ces expositions, grand écart permanent sur le monde, imposent, s’il en est besoin, le rendez-vous arlésien. Car il sait plus qu’aucun autre vous hanter après votre passage.

Christophe Chohin