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Petros Markaris, le Grec qui fait rire l’Allemagne


Romancier qui écrit en grec et parle couramment allemand, Petros Markaris décline toute interview en raison de la situation de son pays. (Photo : AFP)

Des drachmes qui pleuvent sur la place Syntagma, des fraudeurs du fisc empoisonnés à la ciguë comme Socrate, un flic râleur au salaire raboté : l’auteur de polars Petros Markaris tient en haleine l’Allemagne avec les enquêtes du commissaire Charitos dans une Grèce en crise.

Il est presque minuit. Dans quelques minutes, la Grèce abandonnera l’euro pour revenir à la drachme. Les banques ont baissé le rideau, les retraits aux distributeurs sont limités à 100 euros; les plateaux de télévision tournent à la foire d’empoigne où l’on se demande si l’État a «de quoi payer les salaires et les retraites»… Ouf! Il s’agit juste d’un roman policier écrit il y a trois ans, intitulé Pain, éducation, liberté. Mais Petros Markaris imagine déjà un Grexit dont l’ombre se profile maintenant dangereusement et donne des sueurs froides à toute l’Europe.

Sa trilogie sur la crise grecque, dans laquelle la sortie de l’euro arrive dans le troisième volet, a été traduite dans plusieurs langues, dont le français. Mais c’est tout particulièrement en Allemagne que ce romancier, qui écrit en grec et parle couramment allemand, rencontre un grand succès. Son éditeur suisse Diogenes affirme même qu’il est un «auteur culte» régulièrement en tête du hit-parade des ventes. Sollicité par la presse, Petros Markaris décline toute interview en raison de la situation de son pays.

«On veut leur montrer qu’on les emmerde»

De père arménien et de mère grecque, né à Istanbul il y a 78 ans, il a fait ses études à Vienne puis traduit les œuvres de Brecht et de Goethe. «Cette culture cosmopolite lui donne une distance, une ironie, un humour qui parlent au public germanophone», explique Michaela Prinzinger, sa traductrice. La Grèce truculente qu’il présente est portée par Kostas Charitos, chef bougon et méthodique de la brigade des homicides de la Sûreté d’Athènes, et son inénarrable épouse, Adriani, qui régale l’imagination des lecteurs avec sa succulente cuisine grecque (Ah les légumes farcis!).

Mais il dresse aussi le portrait d’une société gangrenée par la corruption et la montée en puissance des néonazis. «Markaris considère le roman policier comme un moyen de mener une investigation sur les errements de son pays», souligne Loïc Marcou, auteur d’une thèse sur le roman policier grec. Et tandis que la Grèce s’enfonce dans le marasme, «l’assassin devient de plus en plus un agitateur politique qui règle ses comptes» avec ceux qui sont considérés comme les responsables des maux grecs.

Dans Liquidations à la grecque, premier volet du triptyque, des banquiers et des responsables de la finance internationale sont décapités au sabre. Dans Le Justicier d’Athènes, un étrange percepteur tue un chirurgien et un entrepreneur fortunés qui fraudent le fisc. Dans Pain, liberté, éducation, Markaris épingle la gauche, qui a pris le pouvoir après la dictature des colonels et a favorisé les petits arrangements.

Accablé par la chaleur athénienne, Charitos, qui n’aime que le café grec et son dictionnaire Dimitrakos, mène l’enquête avec trois salaires de retard. Au volant de sa Seat – une voiture espagnole par solidarité entre pays du Sud vus comme des pays de feignants –, il slalome entre les longues avenues pour échapper aux manifestations des sacrifiés de l’austérité. Avant d’abandonner sa voiture au garage pour cause de restrictions. Le pays d’Angela Merkel, qui donne de l’urticaire à une société grecque qui se sent humiliée, est omniprésent.

Quand Charitos interroge un jour une femme qui ressemble à la chancelière, elle s’appelle Madame Metaxas. Du nom du dictateur grec. Et quand le Grexit devient réalité, une équipe allemande filme des Grecques en train de danser. L’une d’elles lance : «On veut leur montrer qu’on les emmerde et que même avec la drachme, on fait la fête. Eux, faire la fête, ils ne savent pas.»

L’Allemagne apparaît aussi sous les traits d’Uli, un personnage dont le passeport suscite la méfiance d’Adriani mais qui finit par s’intégrer en Grèce au point qu’elle lui cuisinera ses courgettes farcies. Markaris «fait rire sur l’Allemagne et cela a quelque chose de libérateur, poursuit Michaela Prinziger. Le rire permet de développer la compréhension de l’autre.»

Et l’avenir de la Grèce dans tout ça? «Au moment où tu crois qu’elle meurt, elle a toujours un héros pour la sauver», éructe un personnage. «La Grèce ne meurt jamais, parce qu’elle sort toujours un héros de son chapeau à la dernière minute.» À qui Markaris a-t-il pensé?

LQ