Accueil | Culture | Orchestre Philharmonique Luxembourg – « C’est un cycle qui se termine »

Orchestre Philharmonique Luxembourg – « C’est un cycle qui se termine »


Le Français Emmanuel Krivine, septième directeur musical de l'orchestre grand-ducal, avait remplacé le Britnannique Bramwell Tovey en 2006. Il passera la main, la saison prochaine, à l'Espagnol Gustavo Gimeno. (Photo : Julien Becker)

Emmanuel Krivine quittera, à la fin de la saison, le poste de directeur musical de l’OPL qu’il occupe depuis 2006. Le Quotidien est allé à sa rencontre avant cet au revoir.

C’est avec un programme dédié à Vienne, à travers les compositions d’Anton Webern (Passacagliaop.1), Gustav Mahler (Kindertotenlieder) et encore Richard Strauss (Also sprach Zarathustra) qu’Emmanuel Krivine va faire ses adieux, ce soir, aux concerts d’abonnement de la Philharmonie comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg.

Celui qui a œuvré pendant près de dix ans à tirer encore et toujours l’orchestre vers le haut, part avec émotion, mais sans regrets.

Comment vous sentez-vous à l’approche de votre dernier concert avec l’OPL à Luxembourg, en tant que directeur musical ?

Emmanuel Krivine : Mon dernier concert en tant que directeur musical sera le 3 juillet, dans le cadre des célébrations des dix ans de la Philharmonie. Mais là, effectivement, c’est le dernier concert d’abonnement. Bref. Je me sens très bien, même si un peu nostalgique.

Vous ne vivez pas cela comme la fin d’une époque, comme une page qui se tourne…

Si, bien sûr, c’est un cycle qui s’achève. C’est la fin d’une longue et fructueuse collaboration. Je connais l’OPL depuis 2001 et on m’a confié le poste de directeur musical en 2006. Bien sûr qu’il y a de l’émotion, mais je préfère ne pas trop m’étaler là-dessus. L’orchestre non plus d’ailleurs. Je suis très attaché à l’OPL et ses musiciens, je pense qu’eux aussi, et on s’en remettra. Et puis, il est bien que cela change, parce que la relation d’un orchestre avec son chef est univoque, puisque seul le chef a la parole.

C’est donc sain que la situation ne s’éternise pas. On entend que cette « impermanence » propre à notre époque n’est pas bonne pour les orchestres, parce qu’on ne peut plus travailler sur le long terme comme autrefois. Mais je pense que ce n’était pas mieux quand les chefs restaient trop longtemps, quitte à asphyxier l’orchestre. Une situation qui existe encore de nos jours dans certains orchestres. Il faut savoir partir au bon moment. Éviter la lassitude, la routine.

Vous dédiez le concert de ce soir à Vienne – ville où vous serez d’ailleurs dimanche avec l’OPL et le même programme. Comment a été monté ce programme ?

Comme tout programme, il a été conçu comme un menu : en veillant aux équilibres, aux saveurs. C’est une décision commune avec le Wiener Konzerthaus – et Matthias Naske – qui nous accueille dimanche et avec Matthias Goerne qui chante les Kindertotenlieder de Mahler. La Passacaglia de Webern est d’un monde issu de Mahler et cela crée un contraste avec Zarathustra.

Mais le fait qu’il s’agit de Vienne…

C’est toujours très agréable d’y jouer. Et le son du Konzerthaus est magnifique. Je suis très content de collaborer avec Matthias Goerne, c’est un grand artiste, très sensible, qui vit sa musique jusqu’au bout. J’aime bien ce programme. D’ailleurs, nous avons souvent joué Zarathustra avec l’OPL.

Parlons justement de Zarathustra. En l’écoutant, le grand public pense inévitablement à 2001 : A Space Odyssey de Kubrick. Lors d’une précédente rencontre, vous regrettiez le fait que notre société soit devenue une société de l’image et que le public cherche de plus en plus des spectacles visuels. Comment remédier à cela quand on est chef d’orchestre ?

On ne remédie à rien, nous. Les chefs ne sont là que pour guider la musique, c’est tout. Pas pour faire la loi, contrairement à l’appellation du job. Et tant mieux, sinon, on se prendrait pour un démiurge et ce serait malsain. Je dirais que cela ne sert à rien de trop se rebeller contre la période qu’on vit.

Je pense qu’à tout changement d’époque, on se sent inadapté et le plus intéressant dans l’existence est d’essayer de s’adapter. Et puis, tant mieux si grâce à 2001 L’Odyssée de l’espace les gens connaissent Zarathustra de Strauss.

Mais, vous, qu’est-ce qui vous vient en tête quand vous l’écoutez ?

Rien. Je suis dans l’écoute. La musique n’est pas faite pour être comprise. Elle est au-delà de la pensée, de l’intuition, de la réflexion. Elle parle au sens. Elle s’adresse à la sensation. Après, bien sûr, on est tous plus ou moins cultivés, on sait ce qu’il y a comme trame derrière Zarathustra, on sait ce que voulaient Strauss et Nietzsche, et tout cela vient en tête.

Mais la musique, quand on l’écoute, il ne faut pas chercher à la traduire, elle n’est pas là pour paraphraser, mais pour exprimer quelque chose. Pas besoin donc d’être cultivé pour l’apprécier. Je peux, par exemple, être sensible à l’art africain sans avoir la moindre connaissance de la culture africaine. La culture n’est pas une condition nécessaire à la perception.

Revenons à l’OPL, comment avez-vous vu évoluer l’orchestre depuis 2006 ? C’est un orchestre qui était souvent critiqué, au Grand-Duché, par le passé. Ce n’est plus trop le cas.

L’orchestre a énormément changé, il s’est énormément amélioré. Et c’est parce qu’il a quitté cette maudite Villa Louvigny. Le bâtiment est charmant, le parc est joli, mais ce n’est pas fait pour y mettre un orchestre. Pour le son, c’était un désastre. Il n’y avait pas moyen de jouer une note ensemble.

On devenait fous à longueur de répétition bon, moi je l’étais déjà, mais les autres le devenaient! Il a suffi d’entrer à la Philharmonie pour que l’orchestre s’entende enfin et devienne ce qu’il est maintenant. La fusion avec la Philharmonie a aussi été très bénéfique. J’ai donc une immense gratitude pour Octavie Modert, Matthias Naske et pour tous les acteurs qui ont pris part à la fusion. Cela a sauvé l’OPL! Et l’orchestre a ainsi trouvé sa personnalité et son identité.

Justement, comment définir sa personnalité par rapport à d’autres orchestres ?

C’est un orchestre qui aime la musique. Cela peut sembler évident, mais, croyez-moi, ce n’est pas toujours le cas! Cet orchestre n’est pas routinier, il est sympathique et il y a, par ailleurs, une très bonne ambiance de travail. C’est aussi un orchestre qui passe d’un répertoire à l’autre avec beaucoup d’aisance. Mais je dirais que, plus que tout, c’est son enthousiasme et son respect de la musique qui constituent sa vraie personnalité.

Gustavo Gimeno va bientôt vous remplacer au poste de directeur musical. Que lui diriez-vous au moment de la passation de pouvoirs ?

Rien. On m’en a dit le plus grand bien, mais nous ne nous connaissons pas encore. Et puis, on n’est pas des PDG d’entreprise qui se passent les dossiers, dans le monde musical, c’est différent. Avec son arrivée, l’orchestre va complètement changer d’univers, et c’est très bien qu’il en soit ainsi. Tout ce que je peux lui dire, c’est « bienvenue » et « bonne chance », c’est tout.

Vous reviendrez donc la saison prochaine, pour deux concerts avec l’OPL…

Oui, et je serai ravi de retrouver les musiciens. Ce sera, j’en suis sûr, très agréable. Et ce ne sera qu’une visite touristique de chef invité, je ne serai donc plus du tout le « père symbolique », donc cela donnera une tout autre relation.

Pensez-vous que le public percevra cette différence ?

Alors là, je ne sais pas. Il faudra le demander aux spectateurs à ce moment-là. La perception que l’on peut avoir sur scène du public est de toute façon toujours subjective, et donc pas du tout fiable. Sur scène, on est là pour célébrer la musique avec le public. Un concert, c’est quelque chose de vibratoire, entre celui qui joue et le public qui écoute. L’un ne va pas sans l’autre. Chacun a son rôle de toute façon. La musique sans public… Pour quelles oreilles jouerait-on? Ce serait de l’onanisme, de la jouissance entre soi.

Entretien avec notre journaliste Pablo Chimienti

Philharmonie – Luxembourg. Ce soir à 20 h.