Jean-Michel Treinen propose un opéra metal mis en scène par Claude Mangen et joué par Mutiny on The Bounty au lac de la Haute-Sûre. Fruit de trois ans de travail, il porte sur des légendes barbares. Un cinéma avec musique en direct et le célèbre Goran Bregovic complètent l’affiche.
Voilà plus de dix ans que l’association Séibühn Ënsber cherche à donner au lac de la Haute-Sûre, réputé pour son paysage unique et ses nombreux baigneurs estivaux, un rayonnement culturel. Avec les nombreux « obstacles environnementaux et budgétaires » qui vont avec, bien sûr, explique Ben Els. Lui et son association rêvaient d’avoir une « scène fixe » et d’y offrir des « spectacles réguliers ». Il faudra se contenter de coups d’éclat et de trouver les endroits « les mieux adaptés » , sur place, en fonction de la programmation soumise, comme on dit, « au charme de l’aléatoire » .
L’année dernière, l’attrait du rendez-vous atteignait son paroxysme, avec cinq manifestations pour autant de lieux de réjouissances, entraînant au passage quelques complications d’ordre technique, entre « montage et démontage », et administratif, avec « toutes ces autorisations à obtenir ». Un effort qui semble toutefois avoir payé avec une nouvelle mouture démarrant à la fin du mois, concentrée sur deux endroits, attrayante par sa touche singulière et, il faut le reconnaître, à forte consonance nationale.
En effet, excepté la venue « express » de Goran Bregovic et son Wedding and Funeral Orchestra, le reste de l’affiche fait la part belle aux créations grand-ducales. Il y aura la mise en musique du célèbre film L e Cuirassé Potemkine par Jeannot Sanavia projeté sur le barrage à Esch-sur-Sûre, mais aussi – plus rare – un opéra plus nerveux et brutal que ceux que l’on a coutume de voir au pays, d’ordinaire plus tourné vers Verdi, Puccini ou encore Bizet.
«Psychopathe sanguinaire»
L ‘œuvre au long cours – plus de trois ans de travail – du très loquace Jean-Michel Treinen, et ardent travailleur, puisqu’il vient de terminer la traduction en luxembourgeois… du Coran. Là, c’est au nord de l’Europe que son esprit s’est laissé aller à la divague, du côté de la Norvège et de l’Islande, où sont nées les histoires de Kveldulf, Viking sauvage et libre comme l’air, dont la soif de violence et d’indépendance s’observe dans les premiers chapitres d’ Egils saga (première moitié du XIIIe siècle).
« J ‘ai longtemps été fasciné par les légendes vikings , dit le poète romancier et traducteur. J’ai d’ailleurs un livre que j’aimais partager, le soir, avec mes enfants . » Après un concours de poésie, il se lance dans l’écriture, en rimes, de ces mythes, « totalement porté » par la thématique, au point qu’il se perd en route. « Si historiquement, tout est correct, le résultat était trop brutal, voire incompréhensible. » Qu’importe, lui qui se dit « libre comme un viking », clamant que « loin de la laisse, on vit bien », se laisse aller à son ardeur, et ses 90 pages arrivent chez le collectif Maskénada, qui voit en lui un « psychopathe sanguinaire », ce qui lui plaît.
Jusqu’au-boutiste, ou plutôt « maximaliste », comme il se définit, le touche-à-tout ajoute aux tribulations de sa trentaine de personnages (!) une « partition de 1 000 pages destinée à un grand orchestre symphonique » , parce qu’à ses yeux, la poésie sans musique lui semble « bancale, invalide »… Et tant pis pour les coûts, s’il le faut, ça se fera juste « avec un acteur et un harpiste! » . Il ne croit pas si bien dire, puisque, comme le reconnaît Ben Els, « niveau budget, c’est compliqué! » . Ainsi, en collaboration bienveillante avec l’auteur « en background », le metteur en scène Claude Mangen a allégé l’ensemble.
Mutiny on The Bounty l’a fait «flipper»
Kveldulf sera ainsi interprété par une « dizaine d’acteurs sur scène », précise Ben Els – dont Marc Clement, Max Thommes, Mike Tock, Serge Tonnar et Sylvia Camarda, elle-même étant en charge de la chorégraphie – menés par un narrateur. À cela s’ajoute un chœur «amateur» de huit personnes, sorti d’un casting organisé fin mai. Et pour la musique, point d’orchestre symphonique, mais des instruments arrangés en studio par Charel Stoltz, chez lui, à Tuntange, avec, qui sait, la présence « d’un ou deux musiciens classiques » sur la plateforme aquatique, entre violon et clavier.
Car tout ce projet doit encore s’affiner tout au long de ce mois. Seule certitude : c’est le groupe Mutiny on the Bounty au grand complet qui assurera le live. « Ce sont mes fils qui, au départ, après avoir lu mes textes, se sont dit : « Mais il faut mettre un truc costaud là-dessus. C’est vrai que l’on parle là d’invocation de forces supérieures et de violence non contenue », enchaîne Jean-Michel Treinen.
Il se souvient alors avoir vu en concert, il y a quatre ans, un groupe luxembourgeois qui l’a fait « flipper », mais à « l’énergie brute » portée par une « force physique » et un « mental bien trempé ». Idéal, donc, selon lui, pour évoquer ces fables de guerriers vêtus de peau d’ours et drogués jusqu’à l’os, combattants de feu et de métal que l’auteur a transposés dans le calme Grand-Duché, en version luxembourgeo-allemande. Et si le public trouve son œuvre trop brutale, il a déjà la solution : « Ils n’ont qu’à regarder les informations du soir, histoire de relativiser …»
Grégory Cimatti
Le programme
Le Cuirassé Potemkine – Live Orchestra Open Air Cinema
Après le Wall of Light and Sound en 2014, voici une nouvelle projection sur le mur du barrage à Esch-sur-Sûre – le « plus grand écran de cinéma au Luxembourg », dixit Ben Els – avec Le Cuirassé Potemkine (1925), de Sergueï Eisenstein, visionnaire de l’histoire du cinéma qui présente, dans ce chef-d’œuvre expressionniste, l’histoire de la mutinerie sur un cuirassé russe pendant la révolution de 1905. Cette version restaurée et plus longue est mise en scène musicalement par Jeannot Sanavia, avec l’appui de certains membres du KMVL (KammerMusekVereinLëtzebuerg), coproducteur du spectacle.
Eisenstein – Le Cuirassé Potemkine (1925) par Dwiggy
Le 31 juillet, ainsi que les 1er et 2 août à 22 h au barrage d’Esch-sur-Sûre.
Kveldulf – Viking Metal Opera
Kveldulf est un personnage mythique de légendes vikings, mal famé comme un loup-garou et combattant sauvage. Claude Mangen met ici en scène la redécouverte d’une forme d’art oubliée depuis longtemps, l’épopée en vers dans une forme radicalement contemporaine : l’opéra metal. Le texte et la composition de Jean- Michel Treinen, après plusieurs années de préparation, prennent une nouvelle direction avec la performance de Mutiny on The Bounty.
Les 5, 6, 7 et 8 août à 21 h à Insenborn (plage 2)
Goran Bregovic & the Wedding and Funeral Orchestra (support : la fanfare Couche-Tard)
Musicien depuis 50 ans aux plus de 6 millions de disques vendus, renommé pour sa collaboration avec Emir Kusturica et les bandes originales de ses films. Goran Bregovic est le musicien et compositeur contemporain le plus influent des Balkans, rejoint par le Wedding and Funeral Orchestra avec le programme «Champagne for Gypsies». Entre folk-rock et rythmes tsiganes.
Le 16 août à partir de 19 h 30 à Insenborn (plage 2)