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[Musique] Wayes Blood : « Je ne veux pas être enfermée ! »


(Photo : DR)

Elle a concocté l’un des plus beaux albums de la rentrée. Natalie Mering, alias Weyes Blood, mixe passé et présent à travers des harmonies léchées et pleines d’enluminures.

Weyes Blood, c’est la passionnante Natalie Mering, chanteuse et guitariste qu’on a déjà croisée chez Ariel Pink et Jackie-O-Motherfucker. Héritière des prêtresses Kate Bush ou Nico, cette Américaine de 28 ans n’a pas son pareil pour dépoussiérer les fantômes du folk des années 70 pour les remettre au goût du jour, avec des textes décrivant la génération smartphone.

Si elle a déjà sorti plusieurs albums, injustement méconnus (notamment le sublime The Innocents, sorti en 2014), Front Row Seat to Earth, cette année, met tout le monde d’accord, dévoilant une pop radieuse, lumineuse même, enlevée et d’une beauté troublante. Certains parlent d’elle comme de la Joan Baez des temps modernes. Mais Natalie Mering n’aime pas les raccourcis, ce qu’elle raconte avant son premier concert au Luxembourg, ce soir. Entretien.

Vous avez commencé sur la scène hardcore chez vous, en Pennsylvanie, dans le comté de Bucks. Comment passe-t-on de tels débuts à des chansons pop, esthétiques et harmonieuses?

Weyes Blood : J’ai toujours eu, en moi, une certaine idée de la beauté. Petite, déjà, j’écoutais de la musique classique. À un moment, j’ai même eu une profonde frénésie pour les arrangements pastoraux. Mais, parallèlement, j’avais aussi beaucoup d’angoisses et une agressivité mal placée, ce qui m’a amenée vers une musique, disons, plus extrême. Mais dans le bruit, on peut également trouver une forme de splendeur. Toutefois, aujourd’hui, il m’est plus facile d’exprimer des émotions plus complexes à travers une esthétique pop.

Front Row Seat to Earth est votre dernier album. Qu’entendez-vous par ce titre?

Cet album – et ce titre donc – évoque notre déconnexion progressive de la réalité. Et que l’observation du monde qui nous entoure passe désormais à travers des écrans, participant à une passivité, à mes yeux, très dangereuse. Toute cette communauté, globale, connectée, regarde sans agir le drame qui se déroule sur Terre. On est un peu comme au théâtre : ça se passe sous notre nez et, pourtant, on se sent toujours détachés.

Dans ce sens, êtes-vous inquiète de cette évolution? Vous considérez-vous comme nostalgique?

C’est sûr, l’attitude des gens et des responsables face à l’urgence climatique ne me rassure pas. Mais j’ai une philosophie : la seule chose à craindre est la crainte elle-même! Le monde a toujours connu des périodes chaotiques, faites d’injustices et de catastrophes. Il convient d’y faire face, même si cette interconnectivité complexifie le problème. Après, je ne me vois pas comme quelqu’un de nostalgique : j’aime vraiment l’histoire, autant que le futurisme d’ailleurs! J’aime regarder le temps de façon non linéaire.

Est-ce, ainsi, pour cette raison que vous arrivez aussi bien à mixer passé et présent?

Oui, tout à fait. Pour moi, toutes les époques se complètent, s’influencent et se nourrissent. En somme, rien ne nous sépare, biologiquement, des générations qui nous précèdent et qui nous succéderont. Plutôt que de s’intéresser aux détails, à chercher les différences, mieux vaut voir le tableau dans son ensemble. Il est important de tirer les leçons de l’Histoire. Je suis très sensible à ça.

Vous refusez l’étiquette folk. Est-ce trop réducteur?

J’aime ce que la musique folk défend dans ses propos et par ses artistes, mais je n’ai pas la nostalgie des années 70. Non, disons que je n’aime pas être contenue dans un espace restreint. Et le folk peut être perçu de façons très différentes. Bien sûr, il peut avoir un côté linéaire, populaire, que j’arrive à apprécier, mais moi, je préfère les chemins de traverse. J’entends tellement de choses différentes que je ne peux pas imaginer faire de la musique sans expérimentations. Je veux essayer, toujours, de nouvelles choses, et ne pas être enfermée.

Comment compose-t-on, en 2016, de belles chansons d’amour en prenant, bien sûr, en compte cette idée de distance et de passivité?

Justement, en prenant en compte la complexité des relations modernes, la manière dont les gens interagissent entre eux. C’est un fait, nous sommes plus individualistes qu’avant. Rien à voir, en tout cas, avec ce que nos parents, ou grands-parents, ont connu. Bref, aujourd’hui, une chanson d’amour doit traiter de comment on se dit adieu ou encore de la quête d’un impossible.

Entretien réalisé par Grégory Cimatti

De Gudde Wëllen – Luxembourg. Ce vendredi à 21 h 30.

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