Molly Lewis est une artiste à couper le souffle. Normal, elle est siffleuse professionnelle ! Un talent rare, lové dans une musique délicate et envoûtante, dont elle fait la démonstration ce soir aux Rotondes. Entretien.
Avouons-le, le sifflement reste un art à la marge. Certes, il a eu son heure de gloire dans les années 1930 avec le cinéma parlant et de dignes représentants depuis, dont Alessandro Alessandroni, fidèle collaborateur d’Ennio Morricone et de ses westerns spaghetti. Histoire de se rafraîchir la mémoire, rappelons encore la mélodie reprise par Quentin Tarantino dans Kill Bill, en réalité l’œuvre de Bernard Herrmann, compositeur officiel d’Alfred Hitchcock. À cette liste (où aurait pu figurer aussi Micheline Dax) s’ajoute désormais l’envoûtante Molly Lewis, 32 ans, Australienne installée à Los Angeles.
Après s’être fait la main (les lèvres?) à l’occasion de nombreuses compétitions internationales, la jeune femme prend la lumière avec une performance dans le clip Big Enough, vu 64 millions de fois sur YouTube. Direction ensuite les studios en compagnie de son groupe pour enregistrer deux délicats albums, signés par le label indépendant Jagjaguwar : The Forgotten Edge (2021) et, ce mois-ci, Mirage. Beaucoup sont fans de ses mélodies exotiques, comme l’acteur John C. Reily (qui joue dans l’un de ses clips). Est-on en train d’assister au retour en grâce du sifflement? Molly Lewis a ses réponses.
Ce soir (NDLR : hier), vous jouez à Paris pour la sortie de votre album Mirage. Est-ce que ça vous rend nerveuse?
Molly Lewis : J’ai pu l’être, jusqu’à m’en rendre malade. Être là, dans l’attente de monter sur scène, voir tous ces gens… Mais avec l’habitude, c’est nettement moins le cas. Il y a toujours une petite appréhension, mais rien de plus. On se fait à tout! Et franchement, qu’est-ce qui pourrait arriver d’affreux?
Quelles sont les réactions du public, particulièrement venant de ceux qui vous découvrent?
Je suis peut-être chanceuse, mais quand je joue, la plupart des gens sont réceptifs, attentifs, calmes. Certains sont même émus : des personnes viennent me voir pour me dire qu’elles ont pleuré pendant le concert. C’est dingue! Apparemment, ma musique ne laisse pas indifférent.
Comment en êtes-vous venue à siffler?
(Elle souffle) C’est une longue histoire! Comme beaucoup, j’ai essayé quand j’étais jeune, pour voir si j’arrivais à sortir un son. Je devais avoir quatre ans. Je me suis entraînée à fond! Mais ce n’est que bien plus tard, au lycée, que j’ai remarqué que j’avais du talent pour ça. À cette époque, j’ai notamment vu Pucker Up, un documentaire qui raconte l’histoire d’un concours international de sifflement à Louisburg. J’ai alors réalisé que je pouvais rivaliser avec les meilleurs du monde.
J’ai même enregistré avec Dr. Dre!
Et vous avez décidé d’y participer, non?
Oui. Mon père me l’a proposé. J’avais 22 ans, l’âge où l’on ne sait pas trop ce que l’on va faire de sa vie. Je venais juste de terminer l’université, j’avais du temps libre, alors je me suis dit : « Allons-y! ». On est alors partis en voiture jusqu’en Caroline du Nord. Ça a été ma première expérience sur scène et je n’avais jamais sifflé pour d’autres personnes. J’étais totalement paniquée! Mais j’y ai aussi rencontré d’autres siffleurs, très sympathiques.
Avez-vous gagné?
Non, mais j’ai quand même reçu un trophée : une plaque rigolote qui disait que j’étais celle qui avait fait le plus de kilomètres pour venir siffler! (Elle rit).
Justement, vous dites que ce n’est pas un art très sérieux. Pouvez-vous l’expliquer?
Ah bon, j’ai dit ça? Non, je pense que siffler peut-être quelque chose de beau et de sérieux! J’ai juste du recul par rapport à ce que je fais. Et de l’humour, qui est ma façon d’appréhender la vie, le monde qui m’entoure. Et avouons-le, d’emblée, voir quelqu’un siffler en musique, ça peut paraître bizarre, surtout que la plupart des gens n’ont jamais entendu une telle chose. L’important, c’est de relativiser et de prendre un maximum de plaisir!
Est-ce que siffler requiert un entraînement spécifique, comme pour la voix?
Parfois, je travaille certaines musiques, des chansons, ou j’écoute simplement ce que je fais. Mais non, dans l’ensemble, il n’y a pas d’entraînement spécifique. De toute façon, où trouverais-je un coach qui m’apprenne à siffler? (Elle rit).
Quelle est votre intention sur scène? Transmettre une émotion?
C’est, à mes yeux, le but même de la musique. Et si la mienne n’a pas de paroles, elle porte en elle des émotions. Et ce que j’aime aussi dans le sifflement, c’est son côté universel : une langue à part qui dépasse les frontières et qui n’a pas de mots pour vous dire quoi ressentir.
Votre musique a un côté planant, irréel. Est-il difficile de siffler sur un autre genre, comme le rap ou le metal?
Ma musique est celle que j’aime le plus, celle sur laquelle je me sens le plus à l’aise et que j’aime écouter. Mais détrompez-vous : à Los Angeles, j’ai travaillé comme musicienne de studio, en compagnie de musiciens de différents genres. J’ai même enregistré avec Dr. Dre! Alors oui, j’ai fait du hip-hop et d’autres trucs plus étranges, comme de la techno-western (elle rit). Comme quoi, siffler peut s’adapter à différentes esthétiques… et vous mener à tout!
C’est une fausse idée de se dire que l’on siffle uniquement quand on est heureux
Dans la vie de tous les jours, sifflez-vous quand vous êtes heureuse?
C’est une fausse idée de se dire que l’on siffle uniquement quand on est heureux. Ça vient sûrement de la culture populaire où le sifflement accompagne le plus souvent des jingles ou de petites mélodies joyeuses. Mais pour moi, c’est un instrument, et dans ce sens, il doit être capable d’exprimer tous les sentiments, toutes les humeurs. Bon, peut-être pas la colère, mais le reste, oui! D’ailleurs, quand on écoute ma musique, ce n’est pas la joie qui s’impose, mais plutôt une forme de douce mélancolie.
Si quelqu’un vous siffle dans la rue, que faites-vous?
(Elle siffle) Je lui renvoie le compliment!
Pouvez-vous parler avec les oiseaux?
J’essaie, mais ils ne m’écoutent pas! Je ne dois sûrement pas siffler correctement. Mais c’est vrai, j’aime les écouter, j’essaye de les imiter ou d’attirer leur attention, mais apparemment, ils ont des choses plus intéressantes à faire…
Il y a quand même cette jolie anecdote avec un perroquet…
C’est vrai. C’était un perroquet du Gabon, âgé de 18 ans. Il est réputé pour être le meilleur parleur de son espèce, et c’est probablement l’un des oiseaux les plus intelligents du monde. Il était très réceptif et on a eu une conversation intéressante, lors d’une soirée, sur la forêt. Bon, il a cru que je flirtais parce qu’il m’a embrassée!
Quel message aimeriez-vous faire passer au public luxembourgeois avant votre venue demain (NDLR : aujourd’hui)?
Je ne sais pas à quoi m’attendre car c’est la première fois que je viens au Luxembourg. Ça va être une surprise totale. Je n’ai qu’un seul message : que le public vienne et prenne du bon temps!
Rotondes – Luxembourg.
Ce soir à 20 h.