En attendant une tournée dans les cinq plus grands stades de France, Indochine fête ses 40 ans avec la parution d’un magnifique livre Indochine, de Raphaëlle Hirsch-Doran et Nicola Sirkis. Celui de trois nuits par semaine, mais aussi et surtout «d’une seconde et d’une éternité».
Dans une rue, un homme, chevelure grisonnante et pétard, tient un micro en main. Il dit : «Bonjour, c’est Nicola Sirkis. Nous sommes à Bruxelles, aux studios ICP. Nous sommes le 29 septembre et il y a exactement quarante ans, Indochine jouait son premier concert à Paris. Depuis, il s’est passé beaucoup de choses. Vraiment beaucoup de choses…» La soixantaine magnifique, il s’avance, rejoint ses quatre acolytes dans le studio, il y a également quatre musiciennes : trois violonistes, une violoncelliste.
C’est parti pour un concert en direct sur la chaîne YouTube d’Indochine. Quatre-vingt-dix minutes pour fêter un anniversaire. Celui du groupe indispensable à la musique française, celui qui a survécu aux années 1980, celui qui a connu le succès, la traversée du désert, puis le grand retour. Cet anniversaire, on le fête aussi en ce début d’automne avec un livre impeccable, plus de 500 pages très grand format : Indochine, de Rafaëlle Hirsch-Doran et Nicola Sirkis.
En ouverture, on lit Charles Baudelaire : «J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans / Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans.» Arthur Rimbaud, aussi : «Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin (…) Un soir, j’ai mis la Beauté sur mes genoux. Et je l’ai trouvée amère (…) Je me suis enfui.» En introduction, Nicola Sirkis, le leader éternel d’Indochine, écrit : «1981-2021… Quarante années… Quatre fois dix ans. Quarante années de nuits et de jours sans répit, sans relâche, plusieurs vies… tellement de vies si différentes et incroyables. Et pour en rajouter, un changement de siècle.»
Et aussi : «Je n’ai aucune explication rationnelle sur quelque chose d’irrationnel : un groupe de rock en français qui a traversé 40 années et qui dure, c’est rare, exceptionnel.» Et le livre est là. Né de la rencontre du chanteur «indochinois» et de Rafaëlle Hirsch-Doran en 2019.
Un contrat avec Gérard Lenorman
Elle est alors étudiante en journalisme, elle a consacré une partie de son adolescence et le début de sa vie d’adulte à Indochine, elle raconte : «Quand j’ai rencontré Nicola, j’avais quelques projets utopiques à lui proposer. Je n’y croyais pas une seconde, je le trouvais bien poli de me recevoir malgré tout. Et puis… Clic ! Vous savez, quand ça clique ? Nous parlions la même langue…»
Comme pour toute histoire, il y a le commencement. La naissance en 1959 des jumeaux Sirchis, Nicolas et Stéphane. Le père, Jean, a émigré en 1938 de Russie en France, abandonné son patronyme, Ishtok, et rencontré sa future femme, Michèle, à Saclay, en Seine-et-Oise. «J’ai eu une enfance heureuse», confie Nicola, et il ajoute : «Enfants, nous étions « les jumeaux » sans identité propre. On nous appelait rarement Nicolas et Stéphane.» Le 29 septembre 1981, les jumeaux sont au Rose Bonbon, à Paris, avec Dominique Nicolas et Dimitri Bodianski. Indochine, formé le 10 mai 1981, donne ce jour-là son premier concert et signe son premier contrat avec Clemence Melody, le label fondé par… le chanteur Gérard Lenorman. Un disque deux titres (Dizzidence politik et Françoise (Qu’est-ce qui t’a pris?)) qui n’est pas un succès auprès du public, mais la critique pop-rock est élogieuse. L’année suivante, c’est le premier album, avec une chanson imparable, L’Aventurier, qui évoque l’univers du héros de fiction Bob Morane.
Exil et renaissance
Dans Indochine, véritable trésor de documents – carnets, notes… – et de photos, Rafaëlle Hirsch-Doran et Nicola Sirkis disent tout, ne cachent rien. Quarante ans de paroles et musique. Des chansons devenues hymnes, telles Canary Bay, Trois nuits par semaine, Des fleurs pour Salinger, J’ai demandé à la lune ou encore l’immense 3e sexe, remise au goût du jour dans un duo avec Christine and the Queens… Après avoir connu le fond du fond et un exil, le temps d’un album, chez un label belge, Indochine, tel le Phénix, renaît de ce néant que les Trissotin de la vérité musicale définitive à la sauce parisienne leur avaient, dans les dernières années 1990, promis.
Aujourd’hui, avec Oli de Sat (claviers), Boris Jardel (guitare), Mr Marco (basse) et Ludwig Dahlberg (batterie), le groupe emmené par Nicola Sirkis remplit salles et stades, à l’image de deux autres groupes fondés, de l’autre côté de la Manche, au tout début des années 1980 : The Cure et Depeche Mode. La tournée XXL prévue pour l’été 2021 a été reportée à 2022. «Nous fêterons alors tous ensemble, non pas nos 40 ans mais nos 41 ans avec vous et cela sera beau et grand», commentait Nicola Sirkis, déjà prêt à remplir les cinq plus grands stades français, à Paris (Stade de France), Bordeaux (Matmut Atlantique), Marseille (Orange Vélodrome), Lyon (Groupama Stadium) et Lille (stade Pierre-Mauroy). Et c’est ainsi que nous sommes tous des «Indochinois», parce que, comme l’indique Rafaëlle Hirsch-Doran, «Indochine est l’histoire d’une seconde et d’une éternité»…
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan
Quarante ans, treize albums
1982 – L’AVENTURIER Pour ce premier LP, sept titres : six écrits par Nicola Sirkis et composés par Dominique Nicolas, et une reprise de Jacques Dutronc, L’Opportuniste.
1983 – LE PÉRIL JAUNE Un deuxième album enregistré sous la pression de la maison de disques qui voulait une sortie pour les fêtes de fin d’année. Deux singles forts sur cet album : Miss Paramount et Kao Bang.
1985 – 3 Sur ce troisième album, un nouveau venu à la réalisation : Philippe Eidel. Sur les neuf chansons, pas moins de cinq (!) tubes : 3e sexe, Canary Bay, Salômbo, Trois nuits par semaine et Tes yeux noirs.
1987 – 7 000 DANSES Enregistré dans le Var, aux Caraïbes et à Londres, ce nouvel album arrive alors que les rumeurs se font persistantes : Nicola Sirkis chanterait faux, le groupe serait en panne d’inspiration et ne serait plus qu’une pâle copie de The Cure. L’album sera vendu à plus de 300 000 exemplaires…
1990 – LE BAISER Pour une grande partie de la critique musicale, c’est «l’album de la maturité». Pour les textes, Nicola Sirkis s’est inspiré de ses influences littéraires et artistiques (J. D. Salinger, Blaise Cendrars et Man Ray). Un single imparable : Des fleurs pour Salinger.
1993 – UN JOUR DANS NOTRE VIE Durant l’enregistrement, des tensions entre Nicola Sirkis et Dominique Nicolas apparaissent : l’un veut amorcer un virage, l’autre souhaite conserver ce qui a fait le succès du groupe. Les ventes seront décevantes : 90 000 exemplaires…
1996 – WAX Trois nouveaux producteurs pour cet album enregistré à Bruxelles, et sans Dominique Nicolas, qui a claqué la porte. Jusqu’alors, la plus mauvaise vente des albums du groupe avec à peine 60 000 exemplaires…
1999 – DANCETARIA Un nouveau label belge, Double T Music, un nouveau membre, Olivier Gérard, dit Oli de Sat, pour ce premier album après la mort de Stéphane Sirkis. Sur cet album qualifié de «pop-glam-goth» par Nicola Sirkis, un titre-phare : Juste toi et moi.
2002 – PARADIZE L’album du renouveau, publié chez Columbia-Sony. Vendu à plus d’un million d’exemplaires, autour des thématiques comme le sexe, la religion ou encore le mal-être adolescent, il est porté par une chanson devenue mythique, J’ai demandé à la lune. D’autres textes ont été écrits par Ann Scott, Camille Laurens, Jean-Louis Murat et Gérard Manset.
2005 – ALICE & JUNE Dixième sortie, double album, pour lequel Indochine a travaillé avec d’autres artistes, dont Brian Molko, Les Wampas ou encore AqME. Pour Nicola Sirkis, c’est «le Exile on Main Street d’Indochine», un album «violemment romantique, joyeusement pornographique».
2009 – LA RÉPUBLIQUE DES METEORS L’absence, la séparation, l’amour et la mort sont les thèmes au cœur de cet album inspiré, pour les textes, par les écrits de Guillaume Apollinaire et les lettres de jeunes soldats de la Première Guerre mondiale à leur famille.
2013 – BLACK CITY PARADE Le groupe évoque ses séjours dans plusieurs villes européennes, dont Berlin, où Black City Parade a été en partie enregistré. Pour la première fois, Indochine a accepté d’être filmé pendant quatorze mois, le temps de la création de cet album.
2017 – 13 Treize chansons pour le treizième album «indochinois» avec une pochette réalisée par le photographe néerlandais Erwin Olaf : treize jeunes filles représentant, chacune, une nationalité différente. On y trouve des textes de Jean-Louis Murat, Chloé Delaume et Kiddy Smile… et le single La Vie est belle.
S. B.