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[Musique] Gouge Away brise le silence


Six ans… L’attente a été longue pour voir et entendre à nouveau Gouge Away, groupe de Fort Lauderdale (en Floride) qui, en deux albums fous furieux, s’est fait un nom sur la scène hardcore américaine.

Il s’en est même fallu d’un rien pour qu’il ne revienne jamais aux affaires et sur le devant de la scène. Trop d’énergie investie, trop de puissance à chaque note délivrée, trop de concerts… Sans oublier ce sentiment, à fleur de peau, de ne pas être légitime et de devoir se battre pour se faire une place dans une industrie musicale qui, sévère, impose aveuglément ses lois et son rythme.

C’en était fini de nous!

Une avancée sur la corde raide, ou plutôt l’histoire d’une cocotte-minute que l’on oublie sur les fourneaux, prête à exploser comme le dit Christina Michelle, chanteuse à la frêle carrure mais à la voix dévastatrice. Fin 2019, elle et ses quatre compagnons étaient au bout du rouleau. Fatigue généralisée et burn-out pour les fêtes. «C’en était fini de nous!», se remémore-t-elle sur Bandcamp. Heureusement, sous les braises, le feu couvait encore.

Pour le coup, un petit saut en arrière s’impose. En 2016, après un temps d’échauffement, Gouge Away arrive dans les bacs avec Dies, brûlot dévastateur qui, rien qu’à travers son titre, semblait déjà annoncer une fin prochaine. Un véritable manifeste pour le groupe, décidé à donner une alternative crédible dans un milieu principalement apolitique et masculin. Une œuvre coup-de-poing, brute de décoffrage, dans laquelle il est notamment question d’agressions sexuelles, de brutalité policière et de tests pratiqués sur les animaux.

L’album suivant, Burnt Sugar (2018), lui offrira une certaine popularité. Celle d’un groupe qui, derrière sa véhémence et ses sonorités explosives, apprécie les mélodies et les textes sensibles. On appelle ça du post-hardcore, soit cette capacité à y intégrer certains ingrédients propres aux années 1990, avec en tête de liste, ici, le grunge. Rien d’étonnant, finalement, quand on sait que le quintette tire son appellation d’une chanson des Pixies, l’un des précurseurs du genre.

Des faits d’armes, suivis de longues tournées éprouvantes qui vont les amener, à bout de forces, au début de la crise sanitaire, souffle inespéré pour certaines formations qui y trouvent de la créativité, et source de peines pour tant d’autres, coupées dans leur élan. C’est le cas de Gouge Away, qui vient pourtant de poser les bases de son prochain album, Deep Sage. Mais le groupe explose, éparpillé façon puzzle. Certains de ses membres, comme Christina Michelle, quittent la Floride. Les chansons, à l’état de bourgeons, restent dans les cartons. Mort cérébrale. Il en sera ainsi jusqu’en 2022…

La renaissance, ou plutôt la résurrection, viendra d’un concert-surprise en Oregon (le premier en trois ans), sur l’invitation de Militarie Gun. La bande retrouve alors ses marques et de bonnes vibrations, puis décide de s’y remettre, sous la houlette bienveillante de Jack Shirley (producteur notamment pour Deafheaven). Mais pas seulement pour ressusciter ou, pire, recycler les mêmes recettes, mais pour leur donner un nouvel élan, vital.

Les onze titres (pour une trentaine de minutes d’écoute) portent en eux cette volonté de changement. Alors que Burnt Sugar ne faisait qu’effleurer ces envies plus concises et mélodiques, Deep Sage les embrasse pleinement. C’est vrai, la nostalgie des «nineties» et de ses représentants (Nirvana, The Breeders, Hole…) se ressent, mais l’hommage reste bien caché par ce noise râpeux, qui frappe comme un direct au foie. D’ailleurs, le groupe a enregistré cet album en live (et en analogique), afin d’immortaliser ce sentiment d’urgence qui le caractérise tant.

Aujourd’hui, Gouge Away n’est plus bloqué dans ses rêves de succès, comme le dit le titre d’ouverture (Stuck in a Dream), mais n’a pas baissé sa garde pour autant. Sa production, loin d’être trop polie, garde en elle une intensité renversante, avec la voix de Christina Michelle toujours au bord de la cassure, et l’entreprise musclée des quatre gaillards autour d’elle. Finalement, le quintette semble être revenu à ses premières heures, certes plus mûr. Attention toutefois à ne pas encore trop tirer sur la corde. Un coup de mou est si vite arrivé.

 

Gouge Away – « Deep Sage »

Sorti le 15 mars

Label Deathwish Inc.

Genre hardcore / rock