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[Musique] Avec Tangk, Idles calme le jeu


Retrouvez la critique de l’album de la semaine.

Faut-il passer sa vie entière à gueuler dans un micro devant quatre fous furieux qui martèlent leurs instruments avec la même énergie ? Voilà la question existentielle à laquelle s’est confronté Idles, tête de gondole embarrassée de la cause punk et ses dérivés énervés. Oui, chaque groupe qui connaît un tant soit peu le succès a dû y réfléchir au moins une fois : faut-il surfer sur la vague de la réussite, satisfaire coûte que coûte les fans et l’industrie du disque, quitte à s’ennuyer ferme? Ou au contraire, tout remettre en cause sur l’autel de la créativité, avec le risque de perdre son public en route ? Car oui, un musicien, ça grandit, ça expérimente et ça a besoin d’un horizon dégagé. Tout comme son art.

Pour le quintette de Bristol, la métamorphose s’apparentait à une délicate opération à la vue de leurs précédents faits d’armes. Pas aussi radical que tirer le frein à main sur l’autoroute, mais presque! Depuis sept ans, ces Anglais se sont en effet imposés comme les fers de lance d’un rock mordant, intelligent et direct comme un coup de poing à l’estomac. La recette? Un mur de sons, une rythmique explosive, un chant hargneux, un soupçon de non-sens et de folie «so british», sans oublier un humanisme porté comme la guitare, en bandoulière. Avec eux, ça percute, ça crie, ça dénonce et ça s’amuse, comme en témoignent des concerts hautement enthousiasmants.

Tangk n’a vraiment rien du char d’assaut!

Côté studio, il y a eu le bien nommé Brulalism (2017), premier pavé jeté dans la mare suivi de près, l’année suivante, par Joy as an Act of Resistance, au punch intact et d’une même intransigeance. Mais la bande à Joe Talbot, derrière ses coups de semonce, a un petit cœur qui bat, érigeant la tendresse comme étendard, sapant le mâle vénéneux, saluant la richesse de l’immigration et pleurant sur ses disparus. Une sensibilité qui allait doucement déteindre sur sa musique, visible sur Ultra Mono (2020), plus nuancée et prémisse d’une évolution esthétique à venir, clairement matérialisée sur Crawler (2021) aux inspirations synthétiques et froides. Shocking ! Idles aurait-il perdu de son insolence ? Pire, se serait-il ramolli ?

Tangk (prononcez «Tank») donne une réponse paradoxale : non, il n’a vraiment rien du char d’assaut! Plusieurs raisons expliquent ce changement de cap : personnelles d’abord, les deux leaders (le chanteur Joe Talbot et le guitariste Mark Bowen) sont devenus parents, et par ruissellement, moins en colère. Collectives ensuite, le groupe ayant choisi de s’entourer de collaborateurs à l’influence indéniable. On avait déjà senti la patte hip-hop de Kenny Beats (fidèle partenaire, entre autres, de Slowthai et Denzel Curry) sur les deux précédents disques. À cela s’ajoute aujourd’hui la présence pop-rock de Nigel Godrich (producteur historique de Radiohead) pour une ambiance plus feutrée. L’explosion montrée sur la pochette n’est qu’un leurre : c’est en réalité une implosion.

Jamais aussi subtiles, les onze chansons s’enchaînent ici dans une étrange atmosphère contenue, à l’irritation étouffée. Du piano, quelques cordes et des grondements (parfois électroniques) en arrière-plan : les arrangements sont d’une texture inédite et la production d’une fluidité rare pour Idles. Même le brailleur de service, Joe Talbot, montre des capacités insoupçonnées à chanter avec douceur. C’est suffisamment audible pour comprendre que Tangk est un hymne à l’amour sous toutes ses formes (fraternel, érotique, romantique…). Le mot «love» y revient régulièrement (plus d’une vingtaine de fois) et les mélodies se mettent au diapason (les morceaux Roy et Grace en tête). Mieux, c’est aussi un appel à danser, comme le démontre la présence de James Murphy et Nancy Whang de LCD Soundsystem sur Dancer.

Si la fin du disque retrouve un peu plus de mordant, la tension présente ne se libère jamais vraiment. Elle reste en arrière-plan, menaçante. Un argument de poids pour ceux qui trouvent qu’Idles trahit ici son ADN, qui tient justement à son côté volcanique. Au contraire, d’autres diront, pour le coup, que le groupe a mal choisi son nom, pas «fainéant» pour un sou. Lui qui aime engager la discussion et lancer le débat est en tout cas servi. On en saura plus sur ses intentions lors de leur tournée européenne qui passera par la Rockhal (le 12 mars exactement). Selon les deux premiers concerts donnés à Londres et Bristol la semaine dernière, le show alterne calme et puissance, vieux tubes et nouvelles audaces. De quoi contenter tout le monde. Ouf, l’honneur sera sauf !

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