Pour sa reprise, le Mudam met en lumière des œuvres de sa collection, dont certaines déjà aperçues par le passé. Une manière de leur donner du sens dans un contexte nouveau et ainsi s’affranchir de la rigidité de l’Histoire.
Ce n’était pas prévu, comme le reconnaît la commissaire Marie-Noëlle Farcy, mais on ne boude pas notre plaisir. L’exposition «Hier, aujourd’hui, demain», lancée la semaine dernière au Mudam, remet le musée en mouvement après trois mois de sclérose. Dans un symbole, ce sont les œuvres de la collection, souvent perçues comme figées dans le temps, qui réaniment l’établissement, s’offrant là sous un jour nouveau et réaffirmant leur charge artistique, régulièrement défendue.
Évoquant les va-et-vient entre passé et présent, cette réunion souligne la façon dont les œuvres d’art, tout en s’ancrant dans une perspective historique, demeurent sujettes à une réévaluation selon l’époque à laquelle elles sont présentées. Mais certaines, piliers de l’établissement, s’accommodent toutefois du passage du temps sans prendre une seule ride, comme les fameux palmiers de David Zink Yi, la «noire» fontaine de Su-Mei Tse ou encore le jeu de construction XXL, et ses cartes multicolores, imaginé par Bruno Peinado.
Dès le hall, le projet Drifters (2005) de Bert Theis, et ses 24 modules invitant au repos, pose l’atmosphère : ici, l’espace est grand ouvert, l’architecture respire, la lumière s’impose et la déambulation se fait en mode zen. C’est vrai, étalée sur trois niveaux, l’exposition câline les humeurs, en dehors de l’installation monumentale World Airport (1999) de Thomas Hirschhorn, créée pour la 48e biennale de Venise comme une métaphore contemporaine d’un monde connecté et globalisé.
Christian Marclay, as du montage
S’ensuit alors, à l’étage, une sélection de sculptures et de peintures abstraites, dont celle de Peter Halley, acquise en 1998, soit huit ans avant l’ouverture du musée, et qui donne son nom à l’exposition. Des galeries qui célèbrent la forme et des matériaux, le minimalisme et le grand format. On y trouve des tableaux (Günther Förg) réalisés sur des feuilles de plomb, mais aussi des tubes de néon, des lampes fluorescentes, des briques, des câbles électriques et des tuyaux en caoutchouc, associés dans une composition très urbaine (Adriano Amaral et Cabrita). Plus loin, les coups de pinceaux de Michel Majerus se veulent rageurs, tandis que ceux de Bernard Piffaretti cherchent, sans forcément y parvenir, la répétition. Restent, dans le lot, deux vidéos marquantes, et pièces importantes de la collection du Mudam. D’abord Video Quartet (Christian Marclay), un kaléidoscope visuel et sonore composé d’environ 700 extraits de films.
Grâce à un art savant du découpage et du montage, l’artiste balaie ainsi, à travers une orchestration minutieuse, une large partie de l’histoire du cinéma hollywoodien, depuis les années 1920 jusqu’au début du XXIe siècle. Ensuite, Island de Fiona Tan, qui propose de partir en exil sur l’île de Gotland (située en mer Baltique) pour une nouvelle retraite temporaire, certes moins anxiogène que la dernière.
Grégory Cimatti
Mudam – Luxembourg. Jusqu’au 6 septembre.
La collection en chiffres
600 000 euros de budget annuel d’acquisition
680 œuvres dans la collection, acquises depuis le milieu des années 90
54 œuvres commandées par le Mudam
La majorité des œuvres de la collection date de 1989 à aujourd’hui
«Accumuler des œuvres et ne rien faire avec, c’est juste inutile !»
Suzanne Cotter, directrice du Mudam, explique en quoi constituer une collection est essentiel à l’activité d’un musée.
Pourquoi constituer une collection pour un musée ?
Suzanne Cotter : C’est mettre en valeur une production artistique, pour peu qu’elle ait quelque chose à nous apprendre. Cette volonté de raconter l’Histoire, finalement très pédagogique, n’a jamais disparu. Si on construit un musée, ça implique d’avoir une collection à conserver, à développer, à creuser, à connaître, à montrer, tout en l’inscrivant dans un contexte temporel qui évolue. C’est la collection qui amorce toute l’activité du musée. Accumuler des œuvres et ne rien faire avec, c’est juste inutile! C’est pourquoi il faut les activer, dans une actualité, et dans tout leur potentiel.
Dans cette analyse, où se situe le Mudam ?
On ne va jamais être un musée encyclopédique, en ce qui concerne l’art contemporain. Mais je m’interroge, tous les jours, sur ce que devrait – ou plutôt pourrait être – une collection dans son développement. On a l’avantage, au Mudam, d’être un jeune musée, sans un trop lourd héritage à porter. Mais c’est aussi, parallèlement, un désavantage, car on a la responsabilité de définir quelque chose qui constituerait une base significative. Il faut alors être très précis dans les choix. J’espère qu’on n’en fera pas de mauvais…
Une responsabilité qui dépend aussi des finances. Enrico Lunghi, votre prédécesseur, s’était à l’époque alarmé sur la réduction, sensible, du budget alloué à la constitution d’une collection au Mudam. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le budget reste petit, mais on en a un ! Mais c’est vrai qu’au vu du marché de l’art, certains artistes seront hors de portée pour nous, à moins de passer par des donations. Il faut donc avancer avec modestie et beaucoup d’astuces. Et surtout ne pas s’arrêter à cette réalité car nous ne sommes pas les seuls à éprouver cette difficulté. Certes, au début du Mudam, dix ans même avant l’ouverture du musée, il y avait plus d’argent, car il n’aurait pas pu acheter du Peter Halley notamment.
Aujourd’hui, un musée n’est plus seulement fixé dans un seul bâtiment
Comment gérez-vous le stockage ?
Tout n’est pas conservé ici, car l’espace dédié aux réserves est maigre. On s’appuie notamment sur le Freeport, avec lequel on a un bail de sept ans, et un autre lieu qui stocke certaines œuvres qui n’ont pas besoin d’être gardées dans des conditions muséales. Ce manque de place est un problème qui appartient aussi à de nombreux musées. On ne peut, pour de multiples raisons – conservation, espace… – exposer toute une collection d’un coup. Il faut donc la stocker (elle rit). Mais ce souci peut conduire à une autre perspective, comme celle de montrer nos œuvres ailleurs. Pour moi, la définition du musée, aujourd’hui, a changé sur ce point : il n’est plus seulement fixé dans un seul bâtiment. Le musée, c’est plutôt une idée, une façon de présenter, de penser et d’échanger sur l’art.
De quelle manière ces quelque 680 œuvres de la collection reflètent-elles le Mudam ?
Je pense que cette collection affiche un certain caractère, qui change en fonction de ses directeurs. Chacun y a apporté sa vision, d’abord le premier comité scientifique, dirigé par Bernard Ceysson, puis Marie-Claude Beaud (qui a notamment apporté la notion de commandes, en invitant des artistes à créer en dialogue avec la singularité du musée) et Enrico Lunghi. Tout ceux-là ont initié ce que j’essaye de poursuivre : que le programme d’expositions temporaires informe sur le développement de la collection, qui devient alors le témoin de leur histoire commune. Se tissent aussi des liens avec de grandes expositions : par exemple, Enrico a en fait une avec Pascale Marthine Tayou, et on a une œuvre de lui dans la collection. C’est un grand artiste ! J’aimerais en avoir d’autres de lui (elle rit).
Justement, quel est votre « caractère » ?
Pour ma part, j’aimerais contribuer à cette histoire, en essayant, peut-être, d’appuyer certains points, comme celui concernant l’art et les artistes luxembourgeois. En 2018, on a notamment acquis des œuvres de Su-Mei Tse, ce qui fait aujourd’hui que l’on a, au Mudam, un corpus représentatif du travail de cette artiste. On peut aussi parler de Tina Gillen, Jean-Marie Biwer… Et il y a d’autres fils sur lesquels tirer ! On pourrait, aussi, « rééquilibrer » les rapports de force, en donnant plus de poids aux femmes (NDLR : seulement un quart des artistes de la collection) et à une vision plus mondialisée, moins centrée sur l’Europe. Finalement, être le reflet du cosmopolitisme du Luxembourg. Mais laisser sa marque, sa signature, ne doit pas être une motivation. Non, le plus important est de contribuer à l’histoire d’une institution, et de sa durabilité. Face à elle, il faut rester humble, car l’on n’est qu’éphémère.
Recueilli par G. C.