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[Littérature] Monique Wittig : Don Quichotte au féminin


Dans «Voyage sans fin», l'histoire du chevalier à la triste figure devient fantasque, féministe et poétique. (Photo : Colette Geoffrey)

Le Voyage sans fin, un texte de Monique Wittig paru en 1985, est réédité aux éditions Gallimard.

Une première préface la présente comme «contemporaine capitale». Une seconde assure que «tout est dans le panache». Les deux, signées respectivement Laure Murat et Wendy Delorme, lancent la réédition d’un texte paru en 1985, Le Voyage sans fin de Monique Wittig.

Née en juillet 1935 à Dannemarie (Alsace), morte en janvier 2003 à Tucson (Arizona), présentée comme «romancière, philosophe, théoricienne et militante féministe lesbienne française», Monique Wittig demeure, avec Simone de Beauvoir, une figure essentielle du féminisme – et pas seulement français.

Pour mémoire, elle a grandement travaillé sur le concept de «contrat hétérosexuel» – des travaux littéraires, philosophiques et sociétaux qui la placent encore bien au-dessus de nombre de féministes du moment. Monique Wittig s’est fait connaître en 1964 avec un premier roman, L’Opoponax, qui lui valut le prix Médicis.

Dans les mouvements féministes et lesbiens

Dans les années 1970, elle milite dans les mouvements féministes et lesbiens, écrit un manifeste titré Combat pour la libération des femmes et signe en 1971 le «Manifeste des 343» pour le droit à l’avortement, publié par Le Nouvel Observateur.

Encore et encore, son idée, son combat, sera de déjouer la marque du genre dans son œuvre, instaurant ainsi un dialogue permanent entre théorie et littérature, et de mettre en avant le «féminisme matérialiste» – concept que l’on retrouve dans La Pensée straight (en version anglaise en 1992, traduite en français en 2001).

Et puis Le Voyage sans fin… Le texte d’une pièce de théâtre originellement en anglais, titrée The Constant Journey et jouée pour la première fois en mars 1984 au Haybarne Theatre du Goddard College, dans le Vermont. La version française, elle, sera présentée de mai à juin 1985 au théâtre du Rond-Point à Paris dans une mise en scène de Monique Wittig et Sande Zeig, avec cette dernière dans le rôle de Quichotte et Paule Kingleur dans celui de Panza.

Le détournement d’un monument de la littérature mondiale

Dans l’introduction, Monique Wittig signale que la pièce s’est faite «en plusieurs étapes, dont la première a consisté en un travail d’improvisation sur le thème de Quichotte (…) Dans ce que Brook appelle le théâtre mort, c’est sur une convention que gestes et paroles s’articulent, si bien qu’à la fois gestes et paroles sont frappés de mort et en quelque sorte s’annulent…». On entend sur scène, on lit dans le livre Quichotte : «Considère bien, Panza, que ce qu’ils appellent folie, moi je l’appelle réalité!».

Avec ce Voyage sans fin, l’auteure a relevé le défi : détourner un des monuments de la littérature mondiale, paru en 1605 puis 1615, à savoir L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantes. Avec Monique Wittig, le texte devient fantasque, féministe et poétique.

Et tous les personnages sont des femmes – ainsi, Quichotte est une femme chevalier errant, passionnée de livres et d’écriture, en quête de justice et de liberté. Elle est accompagnée de son écuyère, Panza, et traverse nombre de péripéties et imagine un nouveau monde.

Agir avec panache

On y ajoute la tante, la mère, la sœur 1 et la sœur 2. D’un côté, les com­bat­tantes, les ama­zones, de l’autre, celles qui refusent l’émancipation, n’acceptent pas cette uto­pie d’un monde déli­vré du pou­voir des hommes.

Avec Le Voyage sans fin, ce n’est pas seulement le com­bat de la libé­ra­tion des femmes, mais celui aussi de la possibilité et de la nécessité d’agir avec «panache».

Dernière précision de l’auteure : «Il ne s’agit pas de sim­ple­ment réécrire, de trans­po­ser, mais d’aller plus loin en « refa­bri­quant » des héros d’un nou­veau genre ou plu­tôt des héroïnes, puisque le che­va­lier à la triste figure et son fidèle San­cho deviennent deux femmes.» Deux «gué­rillières», selon le qualificatif tant apprécié par Monique Wittig. Pour un texte d’éternelle avant-garde.