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[MNHA] Robert Brandy : «Peindre, c’était ce que je voulais faire et rien d’autre !»


"Robert Brandy face à lui-même" ? Face à nos lecteurs aussi, avec cet entretien exclusif à l'occasion de la rétrospective consacrée à l'artiste luxembourgeois au MNHA (photo : Tom Lucas/mnha).

Voilà 50 ans que Robert Brandy crée et peint, inscrivant son nom et son style dans l’histoire de l’art du Luxembourg et au-delà. Logique, donc, de le retrouver aujourd’hui au MNHA, à travers une sélection de ses œuvres courant sur une demi-décennie. À 75 ans, ça le soulage…

En moins de deux heures, grâce à un archivage rigoureux, il avait tout calculé : «Depuis 1971, j’en suis à 3 500 œuvres !» Et encore, il ne compte pas les objets ni les sérigraphies… Robert Brandy, son chapeau de feutre vissé sur la tête et sa tout aussi célèbre bacchante, désormais cachée par le masque, a marqué l’histoire de l’art au Luxembourg à sa manière. D’abord grâce à une détermination rare, celle de vivre de sa passion dans son pays, dès le début des années 70. Ensuite par sa production, qui s’est vite affranchie des modèles. «J’ai, très tôt, été seul face à moi-même.» Après une grosse année de travail pour rassembler 50 ans de création, plus ou moins éparpillée, le musée national d’Histoire et d’Art célèbre l’homme et l’artiste qui aime regarder en arrière, et un peu moins devant. Entretien.

L’exposition s’intitule « Robert Brandy face à lui-même ». Que voyez-vous alors?

Robert Brandy : Je suis très heureux, surtout, de revoir mon travail. Là, par exemple (il pointe du doigt un tableau), c’est un ami. C’est un plaisir de le retrouver… Tout ça, c’est des sentiments! Et puis, pour un artiste, avoir les honneurs d’un musée national, c’est important. Avoir une telle rétrospective, oui, c’est une chance unique. Ça me rend fier.

Cinquante ans de carrière, ça donne le tournis ?

Oui, et avec du recul, ça donne également un peu la flemme (il rit). Depuis l’époque des hippies, je mène une vie riche et intéressante. Ça, on ne pourra pas me l’enlever. C’est clair, je ne regrette rien. Si, peut-être une chose : pouvoir retourner dans le passé. Si je regarde vingt ans en arrière, c’est comme si c’était hier. Par contre, si j’imagine les vingt prochaines années, là, c’est plus compliqué… (il souffle).

Justement, être le sujet d’une rétrospective alors que l’on est vivant, ça n’est pas très bon signe, non? 

Je le vis bien, surtout que ce n’est pas la première : il y en a déjà eu une à Liège et une autre à Gap. Toutes les décennies, finalement, on se rappelle de moi ! J’attends avec impatience celle du centenaire !

Vous dites que chacune de vos toiles correspond à « un moment » de votre vie. Votre création est-elle indissociable de votre existence ? 

Oui, elle est totalement liée à mon être. Je vais vous donner une anecdote pour illustrer mes propos : il y a plus d’un an, avant la pandémie, j’étais à un vernissage à Bruxelles. J’ai terminé chez un ami qui voulait absolument me montrer une de mes peintures. Là, devant la toile, j’étais totalement renversé! Je me souvenais exactement de la situation dans laquelle j’étais quand je l’ai réalisée. C’était comme si elle m’avait dit : « Tiens, me voilà Robert ! »

Pourtant, vous avez ressenti le besoin, en 1994, de créer un alter ego imaginaire, Bolitho Blane. Pourquoi?  Je lui ai fait dire des choses que je ne pouvais pas dire. Et puis c’était un dandy, avec plein de femmes… Tant qu’à inventer un personnage, autant se faire plaisir, non? 

C’est une exposition chronologique. Y a t-il une période que vous appréciez le plus ? 

Sûrement la « Période blanche », à la fin des années 70. C’était une époque avant-gardiste, qui a finalement influencé tout le reste de mon travail, avec cette importance du mouvement Supports/Surfaces. C’est aussi à la Biennale de Paris que j’ai rencontré Bernard Ceysson. On ne s’est plus quittés depuis.

 Avec l’effacement de la couleur…

Pourquoi est-ce un moment charnière ?

Avec l’effacement de la couleur, la créativité se nourrit alors d’autres idées : la matérialité de la peinture, les supports, l’envers de la toile… (Il se retourne) Ce tableau, par exemple (Séance I-III, 1980), je l’ai gardé pour moi, alors qu’à Paris, un collectionneur m’en a proposé une sacrée somme. J’avais envie de conserver la trace de cette évolution, de cette révolution même.

Travailler une toile, est-ce l’affronter, la combattre ?

Totalement ! C’est une vraie confrontation. J’en veux pour témoin une série de toiles que j’ai réalisées durant le confinement (dont À bout de souffle on refait surface, 2020). Quand je suis rentré dans mon atelier, j’avais envie d’en découdre. C’était de la rage pure !

Je peins tous les jours depuis 50 ans

Créez-vous encore et à quel rythme ?

Je peins tous les jours depuis 50 ans (il rit). Et c’est rare que je prenne plus de dix jours de vacances… Ce matin (NDLR : hier) avant le vernissage, par exemple, j’ai pris mon café et mon petit gâteau à la station-essence – vu que les cafés sont fermés –, avant de me mettre à peindre pendant une heure et demie. Je me suis éclaté! Oui, sans mon atelier, je serais paumé…

La peinture, est-ce une drogue ?

Oui. C’est comme le jogging : je cours tous les deux jours depuis 25 ans ! Si je n’avais pas ça, je ne pourrais pas exister.

Vous êtes reconnu au Luxembourg pour avoir ouvert la voie à la professionnalisation des artistes. Vivre de votre art, était-ce une nécessité pour vous ?

J’ai très tôt baigné dans la peinture. Et j’avais un grand-oncle qui était professeur de dessin aux Beaux-Arts à Paris. Sans oublier ma grand-mère, qui avait l’habitude de dire : « Si tu veux devenir artiste, d’accord, mais soit tu le fais à fond, soit tu ne le fais pas du tout ! » (il rit). J’avais 27 ans quand j’ai pris la décision de me consacrer à l’art. C’était ce que je voulais faire et rien d’autre ! Je n’ai pas arrêté depuis.

Est-ce cette volonté qui vous a permis d’avoir une résonance internationale, contrairement à d’autres artistes, tout autant talentueux ?

Vous savez, une carrière, ça ne tient pas à grand-chose. Il faut être là au bon moment, rencontrer les bonnes personnes… Il faut de la chance, et moi, j’en ai toujours eu! Et puis, je suis quelqu’un de résolument positif. Quand je ne savais pas dans quoi je m’embarquais, je me disais toujours « ça va aller »… Et c’était le cas !

Quel regard portez-vous sur la scène artistique luxembourgeoise aujourd’hui ?

Ça me plaît d’entendre des artistes qui se disent « on ne va faire que ça! ». Certains y arrivent, d’autres non… À l’époque, il faut le reconnaître, il y avait des tonnes de galeries au Luxembourg. Pour vivre de son art, c’était plus facile qu’aujourd’hui. Comme montrer son travail d’ailleurs. En outre, le pouvoir d’achat, notamment des classes moyennes, était plus important. Aujourd’hui, les peintures se vendent difficilement et les artistes ont du mal à exister. Pourtant le potentiel est là!

Quel héritage souhaiteriez-vous laisser au Luxembourg ?

Mais c’est fait, tout est là! Avec cette exposition, je m’inscris dans l’histoire de l’art d’un pays. D’une certaine manière, ça me libère même d’un poids. Maintenant que c’est fait, je peux me concentrer sur les vingt prochaines années !

Entretien avec Gregory Cimatti

«Robert Brandy face à lui-même», Musée national d’Histoire et d’Art – Luxembourg. Jusqu’au 28 novembre.

L’exposition

«Robert Brandy face à lui-même» met en lumière deux volets : d’une part, l’étendue de la carrière de l’artiste (1971-2021) à travers une sélection d’œuvres représentatives de l’évolution de son expression artistique, et en partie inédites. D’autre part, il s’agit d’illustrer le rôle de Brandy dans l’histoire de l’art du Luxembourg comme un des pionniers de la professionnalisation de l’artiste indépendant.

On apprend que cet élan farouche d’autonomie lui vient à la suite d’un séjour dans le sud de la France à l’occasion de ses études à l’école des Beaux-Arts, à Aix-en-Provence, où il découvre les enseignements des artistes du mouvement Supports/Surfaces. Robert Brandy développe alors une sensibilité particulière pour la matérialité de l’œuvre, en jouant avec les objets, la toile et les couleurs – en somme, avec les supports et les surfaces.

Comme le montre cette belle réunion, agrémentée d’un film documentaire (réalisé par le MNHA), l’artiste nourrit son propre vocabulaire stylistique qu’il décline de diverses manières : on découvre alors, notamment, un bel hommage à Cézanne (Nature morte, 1971) et un autre à Joseph Kutter, et des envies sensibles de transparence qui aboutiront à la dilution complète de la couleur (avant d’y revenir à partir de 1981).

Traversée d’un demi-siècle

Dans cette traversée d’un demi-siècle, on apprend son inscription au mouvement Supports/Surfaces. De petits et grands tableaux soulignent ses effets de dilatation et de saturation, d’où dominent le bleu et l’ocre rouge, présentent son double imaginaire (Bolitho Blane) ou sa passion pour la voiture, qui deviendra des «Autos portraits». Sans oublier, en marge, des orientations matérielles avec ses «Ensembles intégrés».

Peu à peu l’artiste vient à jouir d’une reconnaissance qui dépasse les frontières nationales, ses œuvres intégrant d’importantes collections d’art muséales et privées aux quatre coins du monde. «Robert Brandy face à lui-même» permet ainsi de suivre sa démarche et de comprendre l’évolution de son langage plastique depuis ses débuts jusqu’à nos jours.

G. C.

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