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Martine Feipel et Jean Bechameil se mettent au vert à Châteauvert ! 


Migrations, manifestations, dérives technologiques et nature réhabilitée : Martine Feipel et Jean Bechameil transposent leurs préoccupations d’artistes contemporains au cœur de Châteauvert, tout acquis à leur cause.

C’est un endroit perdu au beau milieu du Var (France), occupé au trois quarts par des forêts, rythmé par le chant des cigales et les morsures d’un soleil d’été qui frappe fort.

À Châteauvert, il n’y a pas d’église, mais un centre d’art contemporain, tout juste mis à neuf, enveloppé de sentiers, d’une large rivière et d’un vaste parc garni de sculptures. Étonnamment, c’est dans cette nature préservée, à l’abri des agitations du monde, que l’on retrouve l’un des duos artistiques les plus connus et réputés du Luxembourg : Martine Feipel et Jean Bechameil.

Bourlingueurs sans boussole, capables de se perdre sur les plages d’Anglet (Pays basque français) comme dans le temple capitaliste de Dubaï, ils admettent aimer mener une «enquête sociologique» partout où ils passent, car «il y a toujours une histoire qui nourrit un lieu», dit Martine Feipel.

Celui qui les voit exposer jusqu’à la fin novembre ne déroge pas à la règle : «On y habite depuis dix jours, dans une petite maison, détaille début juillet Jean Bechameil. C’est un mélange original d’habitants assez fortunés et de randonneurs de passage.»

Le «bus échoué» de Blankenberge

Leur présence sur place tient à plusieurs coïncidences : celle que raconte d’abord la directrice de l’établissement (et commissaire de l’exposition), Lydie Marchi. En vacances il y a quelques années sur la côté belge, à Blankenberge, elle tombe sur un «bus échoué», planté dans le sable, comme à tout jamais fossilisé (l’installation Many Dreams).

Quand elle apprend le nom de ses créateurs, une idée s’impose avec évidence : les faire venir dans le sud, dans son centre d’art, ouvert en 2014 et peu habitué, selon ses dires, à des artistes de ce «calibre». Ce qui lui fait dire : «C’est l’exposition la plus ambitieuse que l’on ait faite ici».

L’autre concours de circonstances est moins facilement décelable : alors que le couple artistique s’était déjà emparé, par le passé, de la question sensible du déplacement des populations (en s’interrogeant notamment sur les grands ensembles en périphérie des villes), il apprend rapidement que Châteauvert a été ravagé par la peste noire, et qu’au XVIIIe siècle, le lieu était considéré comme inhabité.

«Un village invisible», dès lors éparpillé en hameaux, qui lui offre une occasion de parler de ces gens qui marchent, par obligation et souvent au prix de leur vie.

Déambulation nocturne en forêt

Hommage aux différentes migrations, celles d’hier, d’aujourd’hui et de demain, l’exposition «Traversée de nuit» voulait alors un angle d’attaque original : «On n’avait pas envie de faire une barque avec des gilets de sauvetage!», lâche avec malice Jean Bechameil.

Il prendra alors la forme d’une vidéo du même nom, pièce principale réalisée en juin dernier. L’idée, comme le détaille Martine Feipel : «Profiter de la forêt aux alentours, un environnement magique, pour mettre en place une marche collective et nocturne».

Les habitants, dont le maire, sont alors conviés à un repas convivial et à une «petite fête», durant lesquels on leur explique qu’il s’agit de mettre à l’honneur les migrants et les liens à la nature. Mieux, de créer «une forme de liberté, d’espace et de revendication, pour tous les êtres vivants».

Le message passe et la troupe embarque pour un périple de trois heures sous la lune, avec, comme dans une procession païenne, des flambeaux et des effigies «abstraites et géométriques» (serpent, scarabée, usine…) portées comme l’on brandit des pancartes lors d’une manifestation.

De «flamboyantes» bannières pour lutter

Comme si la nature avait décidé elle également de figurer dans la vidéo, un orage et la brume se sont mêlés au cortège solennel. «C’était exceptionnel!», témoigne Jean Bechameil, heureux que les personnes se soient «prises au jeu».

Même surprise chez sa partenaire : «Je pense qu’il y a eu un déclic. Au début, certains ont pu se dire « qu’est-ce que l’on fait là? » Mais au bout d’un moment, tout le monde était dans l’ambiance. Je m’attendais à ce que les gens en aient assez. Je me suis trompée : à la fin, on nous a même remerciés».

Inspirés des récits du médecin et historien Ctésias de Cnide (Histoires de l’Inde) et de ceux moins fantasques des réfugiés qui, aujourd’hui, cherchent à rejoindre les États-Unis par la terrible jungle de Darien (Panama), Martine Feipel et Jean Bechameil entendent participer à l’embellissement du monde et à la colère sous-jacente d’un tel sentiment.

D’où sûrement la présence de ces bannières de tissus colorés, renvoyant aux luttes anciennes et présentes, et appelées prophétiquement «Catch Fire» «avant que cela ne s’enflamme vraiment!», précise-t-il en référence à la récente agitation des banlieues françaises.

Deux artistes qui mènent l’enquête

Des références et des productions qui soulèvent au passage une question : le duo se considère-t-il comme engagé? La réponse arrive rapidement. Doublement même : «On mène continuellement une enquête sur ce qui se passe en ce moment. On est d’abord des artistes contemporains, de notre temps», lâche Jean Bechameil. «On réfléchit et discute tous les jours sur comment la société, la technologie, l’espace urbain et rural, le rapport à la nature et au travail évoluent… Ce que l’on transpose ensuite dans notre travail. On n’est pas des militants : on est des artistes visuels!»

Des dispositions qui se retrouvent dans le reste de l’exposition, à travers des allers-retours entre modernisme et place du vivant, entre techniques industrielles et artisanat. Un ensemble de pièces déjà vues, surtout pour les deux plus importantes d’entre elles : Electric Eclipse, bas-relief robotisé datant de 2017 (acquis il y a peu par le Mudam) et Garden of Resistance, tronc hybride en aluminium qui, depuis un an, rappelle au gré de ses apparitions régulières la résilience de la nature (il est ici cerné de nouvelles œuvres en céramique).

Reste une dernière vidéo, Hôtel Ibiza (2018), à la croisée de la poésie, de l’utopie et du geste politique, qui clôt cette traversée des préoccupations et autres désillusions des deux artistes. Pas sûr toutefois que la «bulle confortable» de Châteauvert, dixit le maire, soit pour autant crevée.

«Traversée de Nuit»
Centre d’Art Contemporain
de Châteauvert (France)
Jusqu’au 26 novembre.

On n’est pas des militants : on est des artistes contemporains, de notre temps!

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