C’est l’histoire de deux Luxembourgeois qui ont aujourd’hui un disque d’or aux États-Unis : les producteurs rap qui se cachent derrière Magestick Records racontent l’histoire d’une «success story» sans frontières, qui n’en est encore qu’à ses débuts…
Leur studio est dans le sud du pays, mais leur savoir-faire est américain : David Veiga et André Neves sont les deux Luxembourgeois derrière le nom Magestick Records, représentants d’un hip-hop national qui s’exporte. À la fin de l’année 2013, les deux fans de rap américain postent sur YouTube leur première vidéo instrumentale, Alone, une composition menée par un émouvant motif de piano et destinée aux rappeurs qui peuvent s’exercer à y poser leur voix et répéter leur texte. Sept ans et 350 vidéos plus tard, le duo cumule plus de 50 millions de vues sur YouTube et vend ses instrumentaux à des rappeurs allemands, français, américains… «On a tous les deux 29 ans, on s’est rencontrés il y a 14 ans et on a commencé à faire des prods ensemble il y a sept ans, dit André Neves. Jusque-là, on faisait du rap, on écrivait beaucoup, et quand on a commencé à faire des prods, nos influences étaient très différentes d’aujourd’hui.» «Quand on avait 15 ans, au lycée, poursuit David Veiga, c’était l’époque de 50 Cent, Eminem… Tout ça nous a beaucoup inspiré, en particulier le film Get Rich or Die Tryin’. C’est de là que vient le nom Magestick (NDLR : Majestic est le nom de l’antagoniste, un baron de la drogue proche du milieu du rap). Parmi nos autres influences, tu peux compter Booba, La Fouine, Bushido pour le rap allemand…» Les rappeurs par plaisir sont devenus producteurs par passion, et à force de travail. «Évidemment, les textes, c’était juste entre nous, pour le fun», ajoute en riant David Veiga.
Les références sont classiques, elles reflètent aussi l’importance du rap East Coast, brut et mélodieux, dans leur parcours. Alone, comme bien d’autres de leurs compositions, rappelle les productions ténébreuses de Jeff Bass et Eminem (Cleanin’ Out My Closet, Lose Yourself) à l’aube des années 2000, ou encore celles du duo Animalsons pour Booba, inspirées par les New-Yorkais de Mobb Deep et leur producteur Havoc. Mais le rap est un genre en constante évolution, et les deux producteurs «straight outta Esch-sur-Alzette» ont grandi en cherchant plus loin que les morceaux qui ont bercé leurs jeunes années.
À l’heure où le rap est le genre musical le plus écouté au monde, qu’on retrouve son influence jusque dans la musique la plus commerciale et qu’émerge une multitude de sous-genres aux origines et influences diverses, Majestick Records met un point d’honneur à refléter la diversité du genre. André Neves : «Si tu regardes ce qu’on produit pour les artistes, il y a de tout : de la musique commerciale, de la pop… Dernièrement en Allemagne, on a sorti un son club, très pop, avec (la rappeuse) Hava. Même si pour l’instant, on essaie plutôt de sortir des trucs aux États-Unis; le hip-hop américain c’est ce qu’on aime le plus.»
Les gens sont démotivés de faire de la musique parce qu’ils se disent : « Je vais faire 500 vues. » Mais nous, quand on a commencé, on faisait 100 vues par vidéo !
Normal : en matière de hip-hop, ce sont les «States» qui donnent le la, et ce malgré la montée en puissance des scènes britannique ou japonaise, aujourd’hui très influentes elles aussi. Leur rêve américain, ils l’ont réalisé : en 2019, leur collaboration avec Niaggi, «un producteur qui vit aux Pays-Bas et qu’on a rencontré à Berlin», finit sur l’album Family over Everything, qui réunit le label Only The Family, du rappeur Lil Durk. Ce dernier est signé chez Interscope, emblématique label qui comprend la fine fleur du rap (Dr. Dre, Eminem, Kendrick Lamar, J. Cole, Schoolboy Q, Playboi Carti…), et apparaît en featuring sur le dernier single de Drake, Laugh Now Cry Later, nommé deux fois aux prochains Grammys. La cour des grands, en quelque sorte.
Confinés en studio comme tout bon producteur qui se respecte, André et David portent un regard sur l’année qui vient de s’écouler nettement différent de la plupart de leurs confrères musiciens : «Pour nous, l’année 2020 a été incroyable, explique André Neves. On a eu beaucoup de sorties en Allemagne, on était dans les charts et, surtout, il y a eu le disque d’or (NDLR : celui du rappeur américain NLE Choppa, en décembre, pour l’EP Cottonwood, sur lequel ils ont produit le morceau Untold). C’est le rêve ! On a vraiment de la chance de pouvoir vivre ça. On produit des sons que les gens écoutent!» En juin, le duo, très actif en Allemagne, a signé chez Sony/ATV à Berlin, poursuivant l’aventure sous les meilleurs auspices.
Peu adeptes du confort, les producteurs de Magestick Records refusent malgré tout de se reposer sur leurs lauriers. Pour eux, la règle d’or, c’est le travail, toujours. Sans cela, le talent ne vaut pas grand-chose. David Veiga observe qu’aujourd’hui, «les gens sont démotivés de faire de la musique parce qu’ils se disent : « Je vais faire 500 vues. » Mais nous, quand on a commencé, on faisait 100 vues par vidéo ! Maintenant, on fait un demi-million de vues par mois. Il faut commencer quelque part et se fixer des objectifs; ces dernières années, on a créé des connexions à chaque fois qu’on a voyagé, on a eu des retours positifs sur notre musique… Il faut faire ça petit à petit.»
Citant C’est Karma, mais aussi, pour le rap, Maz, L.I.L. Star et Muntu, André Neves ne tarit pas d’exemples qui prouvent «qu’au Luxembourg, il est possible d’être reconnu et de réussir» dans la musique, à force de «travail acharné». Le duo assume son mode de pensée basé sur l’effort et le résultat : «On est très fans de cet état d’esprit qui veut que si tu veux quelque chose, il faut travailler pour. On croit qu’il faut provoquer la chance, aussi, et ça, ça signifie voyager, parler aux gens, créer des connexions, apprendre, savoir ce que tu fais bien, ce que tu fais mal, ce que tu peux améliorer… Tout ça, c’est un travail. Au début, c’est toujours pour le fun, c’est ton hobby ou ta passion, mais plus tard, il faut voir ça comme une entreprise. Toi, en tant qu’artiste, tu es une entreprise. Donc il faut apprendre les règles et constamment chercher à t’améliorer.»
Valentin Maniglia
Une tribu nommée Qwest
C’est un défi lancé par la Rockhal et le Rocklab : depuis le 1er décembre, et jusqu’à aujourd’hui, les Luxembourgeois et résidents de 12 à 25 ans sont invités à enregistrer un freestyle de rap ensuite partagé sur la page Instagram du concours. À la clé, l’enregistrement d’un clip pour le vainqueur. L’instrumental, lui, est signé Magestick Records. «Le Rocklab nous a contacté pour les besoins de ce challenge. On leur a envoyé trois, quatre prods, et ils en ont retenu une, qui n’existe nulle part ailleurs. On l’a faite spécialement pour eux», explique David Veiga.
Le duo a beau avoir les yeux rivés sur l’Amérique, il est toujours prêt à soutenir la scène locale. «Même si on n’a que très peu produit pour des artistes luxembourgeois, il y a beaucoup de rappeurs ici, et on suit bien sûr ce qui se passe», ajoute André Neves. La culture rap est énorme au Grand-Duché, aidée par la diversité et le multilinguisme du pays – les participants au Qwest Freestyle Challenge peuvent rapper en luxembourgeois, français, allemand et anglais – mais elle est sous-représentée. Un concours comme celui-ci, «c’est ce qu’il faut faire pour qu’on découvre de nouveaux artistes», affirme André Neves. «Ce qui manque chez nous, ajoute-t-il, c’est une plateforme qui mette en avant les artistes luxembourgeois. C’est à ça que sert un évènement comme celui-ci : à regrouper tout le monde.»
Des dizaines de participants ont vu leur participation postée sur Instagram, prouvant s’il le fallait encore le dynamisme de la scène rap nationale menée, dans des styles différents, par Maz, Maka MC, De Läb, Bezza… Le Qwest Freestyle Challenge, soutenu par les rappeurs du pays, a ainsi pour but de présenter les nouveaux artistes d’aujourd’hui et de demain. «Pour nous, c’est toujours important car nous sommes luxembourgeois, et c’est toujours un plaisir de participer à ce que fait la scène nationale. Si le Rocklab, qui est l’une des institutions musicales les plus importantes du pays, nous demande de faire un truc pour eux, on est très heureux», conclut David Veiga.
V. M.