Hors compétition, le film Land of Dreams coréalisé par l’Iranienne Shirin Neshat plonge l’Amérique dans un futur en autarcie et sous surveillance. Un conte grinçant qui est le dernier travail du scénariste français Jean-Claude Carrière.
Un an après son décès à l’âge de 89 ans, Jean-Claude Carrière a les honneurs du Luxembourg City Film Festival avec la présentation, ce samedi, du dernier film qu’il a scénarisé. On s’étonnera même, par ailleurs, de la dimension cosmopolite du projet : intitulé Land of Dreams, ce long métrage d’anticipation, présenté à la dernière Mostra de Venise, a été coproduit en Allemagne et réalisé aux États-Unis par un duo de cinéastes iraniens, Shirin Neshat et Shoja Azari.
On y est plongé dans un futur proche, un futur où les États-Unis ont fermé leurs frontières et vivent en autarcie. Une immigrée iranienne, Simin, voue son existence à son travail. Elle est employée par une agence gouvernementale de surveillance, pour laquelle elle recueille les rêves des citoyens. Une nouvelle mission va réveiller sa mémoire douloureuse…
Shirin Neshat, déjà réalisatrice d’un film méta autour de la grande chanteuse égyptienne Oum Kalthoum (Looking for Oum Kulthum, 2017), est surtout connue pour son travail de photographe, qui l’a vue notamment remporter le Lion d’or, prix international de la Biennale de Venise, en 1999, mais grâce à des expositions à la Tate Modern de Londres, à la Maison européenne de la photographie à Paris, en Allemagne, aux États-Unis, au Japon…
Passée de la photographie à l’art vidéo au tournant des années 2000, elle semble s’être aujourd’hui reconvertie pratiquement à plein temps dans le cinéma. Land of Dreams prend la forme d’un conte, qui va puiser dans l’idée du rêve tel que l’a représenté David Lynch : les références à l’auteur de Twin Peaks sont nombreuses, de la présence au casting de sa muse d’un temps, Isabella Rossellini, au nom des personnages (on trouve notamment un certain Dr. Palmer).
Regard satirique
A priori, pas grand-chose du film n’a de lien avec Jean-Claude Carrière, collaborateur historique de Luis Buñuel, qui dont la brillante carrière de scénariste compte deux Palmes d’or (Le Tambour, de Volker Schlöndorff, et une contribution au Ruban blanc, de Michael Haneke), d’énormes succès publics et critiques (Cyrano de Bergerac, de Jean-Paul Rappeneau, The Unbearable Lightness of Being, de Philip Kaufman…) et une réputation qui l’a placé parmi les meilleurs auteurs de scénario au monde.
D’autant plus que l’histoire de Land of Dreams a d’abord surgi de l’esprit de Shirin Neshat, comme elle l’a expliqué au site britannique Eye for Film : «Quand j’ai eu l’idée de cette femme iranienne qui collecte les rêves des gens, le concept avait un sens de l’absurdité et de l’humour (…) J’ai immédiatement pensé à Jean-Claude à cause de la nature de cette histoire.»
La rencontre entre l’artiste et le scénariste a eu lieu il y a plusieurs années, à travers la femme de ce dernier, «Nahal Tajadod, une écrivaine iranienne formidable (…) Par la suite, nous sommes devenus amis.» Alors, quand elle a pensé à lui pour partager son histoire, Shirin Neshat s’est rendue à Paris et la réponse ne s’est pas fait attendre : «Il a immédiatement aimé l’idée», commente la réalisatrice.
Dans cette atmosphère «lynchienne», la vocation du scénariste à produire des travaux engagés et grinçants a trouvé un terrain fertile, au point qu’il a fait totalement sien le scénario de Land of Dreams, retravaillé mais à peine retouché par le coréalisateur, Shoja Azari.
Shirin Neshat entendait focaliser le film uniquement sur son héroïne (jouée par Sheila Vand, actrice américaine d’origine iranienne), mais Carrière y ajoute deux personnages masculins. «Il m’a dit : « Il faut ajouter ces deux mecs ! » Étrangement, ils représentent en un sens des aspects de l’identité américaine.
On a le cow-boy macho et super arrogant (joué par Matt Dillon), et ce jeune homme très naïf, un rêveur romantique (joué par William Moseley).» Les deux personnages en question font aussi partie intégrante du regard toujours satirique du scénariste, tandis que son goût pour le surréalisme se retrouve surtout dans l’esthétique onirique fabriquée par Shirin Neshat, qui dit avoir puisé son inspiration dans son travail de photographe. Et rend hommage à Jean-Claude Carrière dans un final poétique, pour brouiller une dernière fois la ligne entre fiction et réalité, entre rêve et matérialité.