Zadie Smith
L’Imposture
Gallimard
Ça ressemble fort à une idée fixe, quasi une obsession. Écrire pour se mettre à la place des autres. Depuis son entrée dans le monde des livres en 2001 avec l’impeccable Sourires de loup, Zadie Smith, née à Brent, un «borough» de Londres, le 25 octobre 1975, s’est imposée parmi les meilleurs auteurs britanniques contemporains.
Ce qu’elle confirme avec son nouvel et sixième roman, L’Imposture. Outre-Manche, la presse est dithyrambique : «un roman historique éblouissant» écrit par «une auteure au pic de son talent». Il en est de même de l’autre côté de l’Atlantique : «Dickens est peut-être mort, Zadie Smith, elle, est bien vivante», affirme, définitif, le New York Times.
Au fil des années, vivant à Londres, New York puis revenue dans la capitale britannique en 2020, elle ne craint pas le mélange et la pratique des genres. Ce qui l’a menée à aborder, pour la première fois à 48 ans, le roman historique – et plus précisément le «roman victorien» –, tout en entretenant des résonances avec le monde d’aujourd’hui.
Récemment de passage à Paris, elle expliqua pourquoi, pour L’Imposture, elle a opté pour la forme du roman historique : «Je voulais écrire un roman historique qui soit un peu comme une intervention, car, quand je m’adressais à mes étudiants, j’avais le sentiment de voir apparaître une version du passé que je ne reconnaissais pas. Une vision très plate, parfaite et idéalisée. Mes étudiants me disaient que nous étions une version perfectionnée du passé et en même temps que le présent était un cauchemar. Je ne comprenais pas comment ils arrivaient à me dire les deux choses en même temps. Le roman était une manière pour moi de faire coïncider ces deux lignes chronologiques.»
Elle ne se cacha pas, non plus, s’être inspirée de faits réels pour s’immerger dans l’Angleterre victorienne des années 1860. Ainsi, l’auteure invite lectrices et lecteurs à découvrir Eliza Touchet. Veuve, elle est la cousine, la gouvernante et la concubine à peine cachée d’un écrivain réputé à l’époque et quasiment oublié aujourd’hui, William Ainsworth, auteur de romans-fleuves «à la Dickens», mais sans le talent…
«Bien qu’elle ait toujours su, depuis sa plus tendre enfance, que ce désir n’était pas une aspiration correcte pour une femme, que ce n’était même pas pieux. Elle voulait vivre. Elle voulait faire des expériences selon ses termes, et défendre celle des autres, qu’ils soient pauvres, oubliés, avilis ou méprisés! (…) Eliza Touchet avait vécu pour une idée : la liberté.»
Voilà, dessinée en mots par Zadie Smith, Eliza Touchet qui revendique son indépendance, est politisée et suit avec le plus grand intérêt «l’affaire Tichborne», un cas judiciaire qui fait, alors, le bonheur de tous. On a un type qui assure être l’héritier de cette famille Tichborne constituée de baronnets, dont Sir Roger, disparu en mer quelques années auparavant et qui réclame aujourd’hui son héritage.
Il ne parvient pas à convaincre la cour alors qu’il a apporté de nombreux témoignages en sa faveur, dont celui de cet ancien esclave de la colonie jamaïcaine ayant appartenu à la famille Tichborne. Le revenant se présente aussi inculte que grossier et, finalement, est condamné à quatorze ans de prison. Une question reste en suspens : pourquoi cet homme noir a-t-il témoigné et tenté de défendre celui qui affirme être Sir Roger mais que la justice tient pour un imposteur ?
Délicieusement inspirée par et pour cette imposture, Zadie Smith signe là un roman parmi ses tout meilleurs. Pour L’Imposture comme pour ses précédents livres, elle s’est tenue à un principe littéraire : «Les romans se font avec des vieux chiffons et des vérités volées.»
Oui, avec Zadie Smith, la romancière qui a aussi remis au goût du jour le bandeau dans les cheveux comme Simone de Beauvoir, c’est très simple, la littérature. Mais il n’y a pas place ni droit pour les imposteurs…