Longtemps, jusqu’à l’âge de 67 ans et pour l’état civil, elle s’est appelée Eve Ensler, Américaine née à Scarsdale (New York). En 2020, après avoir écrit Pardon, elle a changé, est devenue V.
C’est sous cette lettre, toute simple, qu’elle signe son nouveau livre, Faire face (sous-titre : «Une vie de passion et de lutte»). Avant ce changement de patronyme, elle était déjà mondialement connue pour nombre de textes et d’essais, et aussi (même surtout) pour Les Monologues du vagin, pièce monument de la littérature féministe traduite en 45 langues et jouée dans 112 pays.
Récemment, l’auteure et activiste, 70 ans, confiait avoir «toujours aimé» la lettre «v» : «C’est une ouverture. Tant de mots fascinants commencent par un V : vagin, vulve… Depuis que j’ai changé de nom, je me sens légère. J’ai la sensation de vivre ma propre vie». V (Eve Ensler) reste une femme de luttes et de combats. Dans Faire face, un recueil pour une autobiographie, elle annonce : «Ce livre parle de ralentir, d’évaluer et de regarder, de regarder véritablement. Il parle de se souvenir et d’honorer les êtres et les instants les plus vulnérables (…) Il parle de prendre acte».
Dans une conversation, elle cite la poétesse américaine Adrienne Rich : «Le moment où une sensation pénètre dans le corps est politique», et glisse avoir «l’impression qu’une grande partie de ce qui se passe en moi se reflète en dehors – il n’y a pas de déconnexion» avant d’ajouter : «Désormais, ma priorité est d’honorer et d’aimer ce corps qui me maintient en vie». Cette vie qu’elle déroule dans Faire face, texte non pas chronologique mais thématisé. Soit huit grands chapitres : Murs, Sida, Faim d’une mère, Féminicide, Le Chagrin, Tomber, Peau, Prendre acte, et enfin, Un épilogue.
Un texte constitué d’extraits, d’articles de presse, de pièces en vers, de quelques images… Des mots pour dire l’intime, l’universel. Par exemple, le cancer de l’utérus dont elle a été victime et qu’elle avait déjà évoqué dans Dans le corps du monde (2013) : «Cette maladie m’a radicalement transformée, dit-elle. Avant le diagnostic, je vivais en dehors de mon corps. Un jour, je me suis réveillée avec des tubes sortant de moi et, pour la première fois, j’ai senti que j’étais vraiment un corps. Pendant neuf mois, je me suis demandé si j’allais survivre. Mais ça a aussi été une aventure extraordinaire : je me suis reconnectée à mon corps, à la nature…».
Franchissons les garde-fous, les tabous et les ronces du non-dit
Dans ces pages, il est aussi question de son père qui l’a violée quand elle avait 10 ans (ce qu’elle a raconté dans Pardon), de «ma mère qui ne m’aimait pas», de roses grosses comme des soucoupes ou encore d’une question existentielle : que deviendrons-nous sans contact physique? Au fil des pages de ce livre sur une vie de combats personnels et publics, V (Eve Ensler) ne manque pas d’évoquer l’écriture : «J’ai toujours besoin d’écrire. C’est la façon dont je me suis trouvée, dont j’ai su que je pouvais exister hors du périmètre des forces oppressives et violentes qui avaient déterminé, quand j’étais encore très petite, que je serais mauvaise et bonne à rien».
Ou encore : «Il se peut aussi qu’écrire soit une question de survie. Une façon de circonvenir le foutoir, de refuser de se laisser balayer par la tyrannie d’autrui; un cri dans le noir». Au fil de l’ouvrage, des joies et des douleurs. Dans la lignée du Women’s Lib et des grandes Betty Friedan, Germaine Greer, Gloria Steinem et Erica Jong, V (Eve Ensler) n’a jamais imaginé, en quarante ans de passion, d’action et de lutte, la vie autrement en faisant, encore et toujours, face. Oui, se tenir debout et faire face, «ce que toutes les cellules de notre corps nous exhortent à taire. Franchissons les garde-fous, les tabous et les ronces du non-dit». Parce que c’est une question de survie.
V (Eve Ensler) – Faire face
Denoël