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Les versets littéraires de Salman Rushdie


(Photo : sylvie moskowitz)

Victime en août dernier d’une tentative de meurtre, Salman Rushdie est au secret aux États-Unis où il se remet lentement. Ces jours-ci, il est en librairies avec Langages de vérité, un recueil d’essais pour un hymne à la littérature.

Dans un questionnaire de Proust publié par le mensuel américain Vanity Fair, une question : Comment aimeriez-vous mourir? et la réponse : «Je préférerais ne pas…». Le 12 août 2022, lors d’une conférence à Chautauqua (État de New York), l’écrivain Salman Rushdie a été agressé de 15 coups de couteau par un jeune admirateur de l’imam iranien Khomeyni – à ce jour, on sait par la voix de son agent qu’il est vivant, qu’il a perdu l’usage d’un œil et d’un bras, et qu’il récupère dans un lieu tenu secret.

Depuis 1989, dans la foulée de la parution des Versets sataniques, il est sous le coup d’une fatwa – rien moins qu’une condamnation à mort… Mourir? «Je préférerais ne pas», avait donc dit Salman Rushdie avant la tentative d’assassinat. Des mots que l’on retrouve dans Langages de vérité, publié outre-Atlantique en 2021 et dont la version française vient de paraître.

En quatre parties (augmentées du questionnaire de Proust), sont réunis des essais rédigés entre 2003 et 2020. Certains ont été écrits pour des journaux ou des revues, d’autres sont la transcription de cours ou de conférences.

Aujourd’hui, on accuse de mensonge ceux qui cherchent à les démasquer

Au fil des pages et des parties, on chemine avec l’auteur des Enfants de minuit ou encore de Joseph Anton au pays sans frontières de la littérature. On ouvre le voyage avec des contes fantastiques, on croise Héraclite, puis Philip Roth, Kurt Vonnegut, Samuel Becket, Miguel Cervantès, William Shakespeare, Harold Pinter et Hans Christian Andersen. L’auteur nous invite à penser et à réfléchir à la vérité, au courage, à l’instinct de liberté avant d’évoquer l’empereur Akbar, Amrita Sher-Gil, Carrie Fisher et la pandémie.

Langages de vérité, c’est les versets littéraires en mode Salman Rushdie. C’est aussi mille et une réflexions sur la fiction. En 400 pages, Rushdie se pose au chevet de la littérature. Et revendique la nécessité pour tout artiste de s’engager. Dans ces essais, l’auteur né à Bombay (Inde) le 19 juin 1947 chante encore la liberté, lance l’invitation à (re)lire tout Philip Roth, Héraclite ou Milan Kundera; s’inquiète de cette époque où une vision religieuse du monde enfle, portée par la «culture de l’offense» et le «manque d’humour».

Un voyage dans l’histoire de la littérature mondiale

Penser librement, encore et toujours, voilà le credo, le moteur de Salman Rushdie qui, en 2006 à des étudiants en Floride, disait : «Les affinités électives, selon le terme de Goethe pour désigner les allégeances que nous choisissons plutôt que celles qui nous sont imposées, sont la base sur laquelle chacun de nous peut construire une personnalité libre, morale, valable, à condition de trouver en soi le courage d’agir de la sorte. Et qu’il pourrait bien être plus instructif d’examiner les idées et la conduite des hérétiques, des rebelles et des dissidents plutôt que d’admirer ceux qui ont emboîté le pas à la foule ou même en ont pris la tête.»

Dans une autre séquence, il écrit : «Une société ouverte doit autoriser l’expression d’opinions que certains de ses membres peuvent trouver désagréables, sinon, si nous acceptons de censurer les opinions qui dérangent, nous nous retrouvons confrontés à la question de savoir qui doit détenir le pouvoir de censure. Nous vivons une époque où la vérité elle-même fait l’objet d’attaques sans précédent, dans laquelle des mensonges délibérés sont masqués par le fait qu’on accuse de mensonge ceux qui cherchent à les démasquer.»

Salman Rushdie, c’est un voyage dans l’histoire de la littérature mondiale. C’est la démonstration de l’importance de la lecture dans le développement de l’individu. C’est aussi et surtout la victoire de la littérature à qui rien ne résiste. Il écrit : «La littérature se réjouit des contradictions et dans nos romans et nos poèmes, nous chantons notre complexité humaine.» À Gérard Meudal, qui a traduit neuf livres de Rushdie en français et dont le dernier, en cours (Victory City), il a été demandé si l’auteur de Langages de vérité pense arrêter d’écriture parce qu’il aurait tout dit. Réponse : «Il est dans l’écriture et dans la création permanente. Il ne pourrait pas s’arrêter d’écrire, sauf si malheureusement, son état physique le lui interdit…».

Langages de vérité, de Salman Rushdie. Actes Sud.

Les indispensables

Salman Rushdie a publié son premier roman, Grimus, en 1975. Depuis sont sortis douze romans, deux recueils de nouvelles, quatre essais, une autobiographie et deux romans jeunesse. En toute subjectivité, Le Quotidien en a retenu cinq. Indispensables.

Les Enfants de minuit (1981)

Second roman, récompensé par le Man Booker Prize, s’inscrivant dans le réalisme magique. Il y présente une allégorie de l’histoire de l’indépendance de l’Inde. Le héros-narrateur s’appelle Saleem Sinai, est né à minuit pile le 15 août 1947 quand l’Inde accède à l’indépendance, et conte sa vie à Padma, sa future femme. Divisé en trois ouvrages, Les Enfants de minuit est un miroir de l’époque, depuis les premiers gouvernements indiens jusqu’aux années de gouvernement d’Indira Gandhi en passant par le Pakistan et la Chine. Autour de deux thèmes : l’épopée familiale et l’histoire, Rushdie a voulu reproduire une vision de la réalité.

Les Versets sataniques (1988)

Œuvre s’inspirant de faits réels, de références biographiques sur l’auteur lui-même ou son entourage, et aussi d’histoires inspirées de la vie du prophète Mahomet, le quatrième roman de Salman Rushdie tourne d’un thème : le déracinement de l’immigré, déchiré entre sa culture d’origine et celle de son pays d’accueil, et la difficulté d’adaptation. Avec Gibreel Farisha (dans les chapitres pairs) et Saladin Chamcha (dans les impairs), le romancier relie Inde et Grande-Bretagne, passé et présent, imaginaire et réalité, et évoque la foi, la tentation, le fanatisme religieux, le racisme, la maladie, la mort, la vengeance, le pardon… Certains passages susciteront la colère d’une partie du monde musulman – ce qui amènera l’ayatollah Khomeyni à lancer une fatwa contre l’auteur.

Haroun et la mer des histoires (1991)

Un de ses romans en littérature jeunesse. Début de la fable : Haroun, un jeune garçon, constate que son père, conteur, a perdu l’inspiration. Il se lance dans un long voyage pour retrouver cette source vive où naissent les histoires. Cheminant, il va croiser des créatures, fabuleuses et inquiétantes. Un conte tout en fantaisie, d’inventivité et d’humour que Rushdie a dédié à son fils. Aussi un plaidoyer pour la liberté de l’imagination créative.

Joseph Anton : une autobiographie (2012)

Ciblé par la fatwa, Salman Rushdie vit caché sous le pseudonyme Joseph Anton, en référence aux écrivains Joseph Conrad et Anton Tchekhov. Dans cette autobiographique, il raconte son quotidien sous protection policière pendant les dix années où il se cache. Le récit se termine en 1998, lorsque le renoncement à l’application de la fatwa par l’Iran fit baisser le risque d’attentat à son encontre. L’auteur peut alors abandonner son pseudonyme et entamer une nouvelle vie aux États-Unis. Un livre écrit à la troisième personne.

Quichotte (2019)

Inspiré du classique de Cervantès, un modeste auteur de romans d’espionnage, crée Quichotte, représentant de commerce obsédé par la télévision, qui tombe amoureux de Miss Salma R., reine du petit écran. Flanqué de son fils (imaginaire) Sancho, Quichotte embarque dans une aventure picaresque à travers les États-Unis pour se montrer digne de sa dulcinée, bravant les obstacles tragicomiques de l’ère du «Tout-Peut-Arriver», alors que son créateur, en pleine crise existentielle, affronte ses propres démons. Drôle, exubérant et lucide, Quichotte a les allures d’une bombe littéraire sur fond d’apocalypse!

(De notre correspondant Serge Bresson)

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