D’entrée, le ton est donné. En première page, six lignes pour des mots qui se bousculent sur un rythme effréné. «On est des cons. On a commencé par piquer une bagnole, comme ça, juste histoire de faire un tour, parce qu’on savait pas quoi faire. Le samedi, on sait jamais quoi faire. Le dimanche non plus d’ailleurs. Le cinéma ça nous emmerde, les filles sont connes et puis faut du blé, et on en a pas». Cinquante ans après sa première parution, voilà la réédition d’un livre culte : Les Valseuses. Auteur : Bertrand Blier.
On est en 1972, date de la parution du roman. Dans la société française d’alors, à peine débridée bien que post-soixante-huitarde, ça a choqué les «bien-pensants». Johnny Hallyday était déjà là et les hippies en chemise à fleur chantaient l’amour et la paix. D’autres vivaient «sex & drugs & rock’n’roll». Et puis, il y avait Bertrand Blier, fils de Bernard, star du cinéma (et, accessoirement, du théâtre) français, et de Gisèle, mère discrète.
Les études, ça ne l’a jamais branché, a-t-il régulièrement répété. Il raconte qu’un jour, son acteur de père lui dit aimablement : «Bien, maintenant, on va arrêter les conneries avec les études. Tu vas bosser !». Il organise à la maison un «dîner entre hommes» et leur dit : «Je vous le confie!». Parmi les convives se trouvait le réalisateur Henri-Georges Clouzot qui l’invite avec son père à une projection. À la sortie de la salle, Bertrand Blier annonce à son père : «Je veux être réalisateur. C’est ce que je veux faire». Réponse du père : «Tu vas passer ta vie à diriger des cons».
Fragile des bronches, le «fils de» a passé aussi beaucoup de temps dans cette maison familiale, il y avait un grand nombre de livres. Il a lu beaucoup : «À l’époque, quand on était malades, on se couchait, on était alités, et par terre, il y avait des bouquins, se souvient-il. On pouvait rester une journée entière à lire des livres merveilleux que mon père avait dans sa bibliothèque». La trentaine passée, il passe alors à l’écriture d’un roman. Son premier, Les Valseuses. Il confie que l’histoire lui «vient de mes lectures, surtout policières. Des séries noires américaines, qui se trouvaient chez mon père».
Quand j’ai écrit ce roman, il y avait un besoin de mettre le feu
Il poursuit : «Ce sont ces lectures qui m’ont dressé contre la bourgeoisie, et pour une certaine société de voyous, qui existait à l’époque avec des gens comme Stanley Kubrick. Les Valseuses, c’est un road movie à la française, avec la culture française et des personnages français. C’était aussi en cela un livre politique». Au temps où les DS Citroën «soupiraient d’aise», l’histoire tourne autour de deux copains : Jean-Claude «l’aîné, le raisonnable, le seul en qui on puisse avoir un tant soit peu confiance», pas la langue dans sa poche; et Pierrot «le gamin, le petit dernier, le plus turbulent».
Ce sont, comme on dit avec élégance, deux petits délinquants. Ils se «baladent» à travers la France. Pour d’abord échapper à la prison, et pour ensuite conduire des bagnoles et rencontrer des filles. Le hasard va les faire rencontrer Marie-Ange, elle est shampouineuse, languide et n’a pas de poitrine… À chaque page, il y a la patte, le style Bertrand Blier. Précision dans le choix des mots, de ce rythme débridé du style, de cette écriture inventive emplie de fougue… Souvenir de l’auteur : «Quand j’ai écrit ce roman, il y avait un besoin de mettre le feu. Il y avait des boîtes d’allumettes qui traînaient dans quelques poches. C’était bien. Et ça venait d’avant 68…».
Pour la réédition du cinquantenaire, l’éditeur confie : «Les Valseuses a pu choquer en son temps. Il exprimait surtout et continue d’exprimer un goût insatiable pour la liberté» et Eric Neuhoff, dans sa préface, écrit : «L’ensemble pétarade. C’est un mélange de brutal et de raffiné. Le stylo claque des doigts. L’encre bouillonne». Deux ans après la parution et le succès en librairie, Bertrand Blier adapte sur grand écran son texte – à l’affiche, Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou. Un film éternel aux répliques définitives : «On n’est pas bien? Paisibles, à la fraîche, décontractés du gland… et on bandera quand on aura envie de bander» et « Putain merde! Tu vois! Quand on nous fait pas chier, on s’contente de joies simples!».