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Les restes menacés de la «cité perdue» équatorienne


La jungle les a protégés pendant des millénaires. Mais l’érosion et la modernité pourraient bien avoir raison des vestiges d’une vaste cité amazonienne vieille de quelque 2 500 ans aujourd’hui disparue, dans le sud-est de l’Équateur.

Découverte en 1978 dans la vallée d’Upano, en Amazonie équatorienne, cette «cité perdue» s’étend sur des centaines de kilomètres carrés. Au pied de la cordillère des Andes, elle comprenait à son apogée une vingtaine d’agglomérations, connectées par des routes, et abritait une civilisation agraire jusqu’ici inconnue.

«On pensait qu’il s’agissait de simples structures naturelles» dont certaines ont été «rasées pour construire des routes». «Il y a un besoin urgent d’un plan de protection», plaide Alejandra Sanchez, archéologue espagnole qui étudie ce patrimoine depuis une dizaine d’années.

Déjà baptisé par certains le Machu Picchu équatorien, le site d’Upano est devenu célèbre en janvier, lorsque la revue de référence Science a publié un article du chercheur français Stéphen Rostain, qui a mené des fouilles dans les années 1990 dans ce que les médias ont décrit à tort comme une «découverte» inédite.

La publication a éludé le travail réalisé pendant quatre décennies par des dizaines d’universitaires et archéologues, ainsi qu’un projet voulu par l’État équatorien sous la tutelle de l’Institut national du patrimoine culturel (INPC).

Dans le cadre de ce projet initié en 2015, quelque 7 400 monticules de terre ont été identifiés grâce à une technologie laser utilisée depuis un avion pour scanner le sol sous l’épaisse couverture végétale. En forme de L, de T, de U, ou encore de carrés, de rectangles et d’ovales, ces tumulus servaient de soubassement aux habitations – dont il ne reste rien – pour les protéger du sol humide.

Outre des routes récemment construites, l’érosion, la déforestation et l’agriculture mettent également en péril ces massifs qui mesurent jusqu’à quatre mètres de haut et une vingtaine de mètres de long. La rivière Upano, berceau de la culture indigène du même nom, est elle la proie de l’exploitation minière illégale.

Par prévention, l’INPC va commencer par délimiter le complexe dans la province de Morona Santiago, au sud-est du pays. Selon les versions, il pourrait s’étendre jusqu’à 1 000, voire 2 000 kilomètres carrés, avance l’archéologue équatorien Alden Yépez, de l’Université catholique privée d’Équateur (PUCE).

«On regardait avec envie le patrimoine archéologique de nos voisins péruviens ou du Mexique. Nous avons aujourd’hui la chance de l’avoir ici, dans la vallée d’Upano!», se réjouit-il, soulignant son «importance culturelle». Pour la directrice de l’INPC, Catalina Tello, la compréhension de ce genre de découvertes archéologiques doit se faire «dans leur contexte», en incluant dans ce cas les populations indigènes locales Shuar et Achuar qui «ont gardé et pris soin de tous ces vestiges».

L’homme véritablement à l’origine de la découverte des vestiges de la vallée d’Upano est un prêtre et archéologue équatorien, Pedro Porras, qui a décrit pour la première fois dans les années 1980 ces monticules de terre comme une «cité perdue». Le musée Weilbauer-Porras de la PUCE conserve les cartes et les clichés photographiques noir et blanc du prélat, ses découvertes de poteries teintées finement décorés, ou encore un morceau de roche volcanique taillé en forme mi-animale mi-humaine.

Pour Alden Yépez, également professeur à la PUCE, les monticules identifiés sont la «partie émergée de l’iceberg» d’une civilisation qui a peut-être été encore plus vaste qu’imaginé jusqu’ici. «L’idée que l’Amazonie était un espace non peuplé» ou seulement habité par des nomades est écartée, ajoute la directrice de l’INPC, car les découvertes témoignent d’une organisation politique, économique et religieuse typique des grandes civilisations. Cette cité ancienne aurait été érigée entre 500 ans avant notre ère et 300 à 600 ans après, couvrant ainsi l’époque de l’Empire romain.

Selon la revue Science, les tumulus étaient reliés par un vaste réseau de rues creusées, droites et à angle droit, à la fois pour le commerce mais aussi dans un but cérémoniel. Alden Yépez estime pour sa part qu’il s’agirait également d’«immenses systèmes de drainage interconnectés». «L’un des objectifs fondamentaux était d’évacuer les précipitations, il y a donc une corrélation directe et merveilleuse avec les caractéristiques atmosphériques de la zone», veut croire le chercheur.