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Les Lois de la gravité : un huis clos plein d’humanité


Entre la femme qui s'accuse (Colette Kieffer) et le flic qui récuse (Jérôme Varanfrain), Les Lois de la gravité parvient à faire surgir toute l'humanité du drame. (photo Ricardo Vaz Palma)

Elle veut qu’on l’arrête, il s’y refuse… Troublant face-à-face dans un commissariat, Les Lois de la gravité, tiré du livre de Jean Teulé, met en scène deux êtres solitaires en quête de rédemption et d’amour. Un drôle de drame à voir au TOL (Théâtre Ouvert Luxembourg).

Pièce signée Véronique Fauconnet pour le TOL, avec Colette Kieffer et Jérôme Varanfrain, Les Lois de la gravité est un huis clos oppressant, tendu et plein d’humanité. Rappelons que l’ouvrage original a été adapté pour le cinéma en 2013 dans une coproduction franco-luxembourgeoise…

On connaissait déjà le film (Arrêtez-moi , signé Jean-Paul Lilienfeld), avec un beau duo de femmes  –  Sophie Marceau et Miou-Miou  –  et, à la production, un certain Nicolas Steil, président d’Iris… et du TOL depuis 2013. Comme tout est lié et que le hasard fait (parfois) bien les choses, voilà qu’arrive la pièce qui, contrairement au long métrage, a gardé le titre original de l’ouvrage de Jean Teulé, auteur à plus d’un titre génial. Véronique Fauconnet, à la mise en scène, confirme  : « Il a une écriture déconcertante, fluide, décalée. C’est dingue, « rentre-dedans » et tout empli d’humour noir. » Enthousiaste, elle ajoute  : « On l’a même invité! »

Les Lois de la gravité porte la marque de son auteur, qui s’intéresse aux histoires anonymes et faits divers qu’il sort magistralement de l’ombre. Direction, ici, un commissariat. Dans trois heures, le lieutenant Pontoise pourra quitter son poste. Il est 21h. À cet instant, une femme arrive et demande à être arrêtée. Dix ans plus tôt, elle a poussé son mari par la fenêtre de leur appartement. Sadique, irresponsable, il la battait, elle et ses enfants. Elle a prétendu qu’il s’agissait d’un suicide, mais aujourd’hui, « rongée par le remords », elle vient se dénoncer avant qu’il n’y ait prescription, en l’occurrence, à minuit pile. Commence alors un huis clos éprouvant, suivant un irrémédiable compte à rebours…

Que le public se rassure, la pièce « ne dure pas trois heures! Il y a des ellipses », précise la metteur en scène qui, comme Jean Teulé, sait « rigoler de sujets dramatiques ». Car Les Lois de la gravit é est chargée d’émotions, de violence et de contrastes, bien sûr, se présentant comme une sorte d’antipolar (pas besoin de chercher le meurtrier, il se dénonce!). Elle tient surtout à ce duo improbable que la vie n’a pas épargné, à la rencontre de ces deux solitudes. Et « à ce que la culpabilité fait de vous ».

D’un côté, donc, une femme (jouée par Colette Kieffer), « déterminée à payer sa dette à la société » car rongée par un geste fatal qu’elle a longtemps caché. « C’est sûr, elle est coupable, mais elle a des circonstances atténuantes, et de sacrées! », martèle Véronique Fauconnet. Et pour cause, humiliée, insultée, isolée, elle a subi durant des années les méchancetés et les coups d’un mari alcoolique, dépressif et violent  –  dans le livre, même ses enfants se retournent contre elle. Et au bout d’un moment, trop, c’est trop. « Son corps lui fait terriblement mal, car la culpabilité s’est imprégnée en elle , poursuit-elle. C’est devenu irrespirable. Elle vit l’enfer sur terre. »

«Il se dit  : « Ce n’est pas juste »»

Et comme elle n’envisage à aucun moment le suicide, aller en prison reste, à ses yeux, la seule solution pour se racheter. La rédemption agite aussi le policier (Jérôme Varanfrain), certes un peu bourru, mais saisi par une profonde remise en question. « Lui aussi est, à sa manière, isolé. Et il n’en peut plus! Je l’imagine célibataire, tout occupé à faire au mieux son boulot. Il avait une grande idée de la justice, qu’il a perdue durant ses années d’activités, a côtoyé parfois des monstres. Là, confronté à une personne qu’il considère comme pure, il se dit  : « Ce n’est pas juste. » » D’où sa réticence à la mettre sous les verrous.

Quelle sera l’issue de cette drôle de garde à vue? Finalement, peu importe. Le plus intéressant tient en effet dans ce face-à-face où se mêlent la détresse de vies sociales brisées et l’amour entre deux êtres bancals. Car si le film proposait un mano a mano entre deux femmes, « à la demande de Jean Teulé », offrant ainsi un rapport plus subtil entre une flic plus âgée et celle qui s’accuse, proche de la « protection maternelle », la pièce, elle, garde le duo initial et cette attirance sous-jacente qui naît au fur et à mesure de leur explication – même si celle-ci s’avère musclée. Au point que la metteur en scène, absorbée par la pièce à deux jours de la première, est emportée par son cœur…

« Ce sont deux solitudes qui se retrouvent. Il aurait fallu peu de chose pour que ça marche entre les deux. C’est dommage! » Mais non, il n’y a pas de happy end au programme, mais bien des pleurs, de la colère, de la « violence physique » même, mais aussi de l’humour et de purs moments d’humanité, heureusement, le tout baigné dans une atmosphère de critique sociale.

N’oublions pas, c’est important, la présence d’un troisième larron, un gardien de la paix (interprété par Brice Montagne), lui aussi perdu dans un monde trop grand pour lui, et bien décidé à rendre son étoile de shérif pour regagner les terres paysannes de son enfance. « C’est la conscience écologique de la pièce », sourit Véronique Fauconnet. Il est surtout un prétexte supplémentaire à Jean Teulé pour faire sonner sobrement les «mots des pauvres gens», comme disait Léo Ferré, qui sont finalement les seules armes des anonymes de l’existence.

Grégory Cimatti

Les Lois de la gravité. TOL – Luxembourg. Jeudi 22 et vendredi 23 octobre à 20 h 30. Les 29, 30 et 31 octobre, ainsi que les 4, 5, 6, 12, 13, 18, 19 et 20 novembre, toujours à 20h30. Le 15 novembre à 17h30.

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