Accueil | Culture | Les deux meilleures ennemies

Les deux meilleures ennemies


Colette Kieffer retrouve Véronique Fauconnet dans un huis clos oppressant, où il est question de chien, de jeu cruel et de rapport dominant-dominé. (photo ricardo vaz palma)

Dramaturge à succès, Fabrice Roger-Lacan est repris pour la première fois au Luxembourg par Marion Poppenborg avec Chien-chien (au TOL), bras de fer psychologique entre deux femmes, réunies par leurs blessures d’enfance.

Une pièce qui parle de blessures d’enfance écrite par un certain Lacan ? D’emblée, ça peut faire peur. «Si c’est bien une œuvre psychanalytique, elle n’est pas si compliquée que ça », rassure Véronique Fauconnet, patronne du TOL et comédienne en scène pour ce Chien-chien. Petite précision tout de même : ce Fabrice Roger est bel et bien un descendant du célèbre psychiatre français, mais si le grand-père maternel s’est fait un nom en marchant (à sa manière) dans les pas de Freud, lui connaît le succès en tant que dramaturge, de sa première création (Cravate Club , adaptée au cinéma) à la dernière ( La Porte à côté ).

Ici, il propose un face-à-face tout en tension, « très intelligent et intéressant » pour Colette Kieffer, l’autre protagoniste de l’histoire, et sûrement beaucoup trop loquace pour l’extravagante metteur en scène germanique Marion Poppenborg  : « Les Allemands, quand ça parle trop, ils coupent! (rire) J’ai surtout voulu faire quelque chose d’assez corporel .» Avec ce texte, elle se retrouve surtout dans la peau d’un arbitre entre deux femmes  – « des garces »  – tiraillées entre le passé et le présent. D’où cette idée d’imaginer la scène comme « un ring de boxe » croisé à un « bac à sable ».

Véronique Fauconnet imagine de son côté une ambiance thriller à la Ghost Writer de Polanski, écrasante et flippante à souhait, tout en sous-entendu. « Mais on manquait d’argent pour construire une villa au TOL. À la limite, on aurait pu poser une première fenêtre! » Dans un climat, donc, angoissant, on trouve Linda (interprétée par Colette Kieffer). À l’époque de ses 8 ans, elle s’appelait encore Adèle et était le souffre-douleur assumé de sa meilleure amie d’enfance, Léda (Véronique Fauconnet). Aujourd’hui femme d’un très riche patron, elle trouve un prétexte  –  un de ces week-ends mêlant travail et détente  – pour se confronter à son ancien bourreau.

«Ça, c’est vraiment trop cruel !»

Manipulatrice, elle avait tout prévu… « Le mari de Léda vient de retrouver ce boulot, après trois ans de chômage et une tentative de suicide. Ce qui lui donne un sacré moyen de pression », soutient l’unes des comédiennes. Mais derrière l’aspect purement socioéconomique et ce rapport de force professionnel, il est surtout question de passé, et de ce jeu qu’elles avaient l’habitude de pratiquer ensemble  : celui de dominant à dominé, celui du maître face à son chien.

 La femme d'un richissime patron convoque un week-end son ancien bourreau des bancs d'école. Sur fond de chronique socio-économique, cette pièce aborde l'enfance, ses traumatismes et ses cicatrices qui peinent à se refermer... surtout quand on aimerait les raviver. (photo : ricardo vaz palma)

La femme d’un richissime patron convoque un week-end son ancien bourreau des bancs d’école. Sur fond de chronique socio-économique, cette pièce aborde l’enfance, ses traumatismes et ses cicatrices qui peinent à se refermer… surtout quand on aimerait les raviver. (photo : ricardo vaz palma)

Passe-temps innocent ? Pas vraiment quand on sait que Léda, durant des vacances, interdisait à sa copine de boire et se nourrir jusqu’au malaise. « Les enfants peuvent être très vicieux », lâche Colette Kieffer avec un détachement plus net que son alter ego quand elle évoque l’actualité, entre jeu du foulard et harcèlement sur les réseaux sociaux.

Seules sur cette «île», dans une villa au luxe irréel, les deux femmes vont ainsi renouer avec les rituels du passé. Mais les enjeux ne sont plus les mêmes et la situation leur échappe, même si les caractères semblent avoir été épargnés par les affres du temps  : « Leur personnalité d’enfant n’a pas vraiment changé , explique Véronique Fauconnet.

En effet, on trouve toujours, d’un côté, la tortionnaire et, de l’autre, la soumise. Léda garde ce rapport de pouvoir avec ses élèves – elle est professeur de math – et son mari .» Tandis que Linda, elle, « a besoin de revivre cela », dixit son interprète. En ouvrant la boîte de Pandore, elles réveillent ainsi leurs vieux démons. « C’est là que tout devient dangereux », soutient la metteur en scène.

Dans ce huis clos, les deux copines s’affrontent sans ménagement. S’engage alors une véritable joute verbale. « Chacune est à l’affût, histoire de pouvoir passer au-dessus des propos de l’autre. » Qui va donc gagner ce duel psychologique, entre celle un brin sadomasochiste, espérant d’être à nouveau martyrisée, et l’autre craignant la brimade de trop ?

Tout l’enjeu de cette pièce aux « basculements multiples », pas si éloignée des rapports de force « que l’on voit dans la vraie vie », observe Marion Poppenborg. Qui a d’ailleurs poussé son point de vue vers un jusqu’au-boutisme parfois mal apprécié par ses comédiennes. « Véronique me disait parfois  : « Ah non, ça, c’est vraiment trop cruel. » » (rire)

TOL – Luxembourg. Jeudi 7 mai et vendredi 8 mai à 20 h 30. Les 15, 16, 20, 21, 22, 28, 29 et 30 mai, ainsi que les 2, 3, 5 et 6 juin toujours à 20 h 30.

 

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.