Prodigieux et attachant, le manchot empereur signe son retour au cinéma dans L’Empereur, de Luc Jacquet.
On connaissait le manchot en papa dévoué, bravant ennemis et tempêtes dantesques de l’Antarctique. Cette fois, c’est aussi l’extraordinaire animal marin que Luc Jacquet filme dans L’Empereur, nouvel hommage au héros éternellement époustouflant. En salle depuis mercredi, ce documentaire spectaculaire et poétique renouvellera-t-il le succès de La Marche de l’empereur (2005), qui avait fait près de 2 millions d’entrées en France et 127 millions de dollars de recettes au box-office mondial?
Le sujet garde en tout cas tout son mystère et sa fascination, pour le spectateur comme pour le réalisateur. Quand, fin 2015, l’ancien scientifique part pour sa sixième expédition antarctique, coproduite notamment par son ONG Wild-Touch, ARTE et le CNRS, ce n’est pourtant pas, raconte-t-il, pour donner une suite au film qui lui valut un Oscar.
Mais sur place, « j’ai eu envie de m’y reconfronter » : « J’avais le temps, plus de maturité, pas de pression, la magie opérait toujours… Et je voyais des choses inédites, comme ces poussins qui se lancent à l’eau, sans parent, sans avoir jamais nagé! », dit-il. Au sein de l’expédition, l’équipe de plongeurs photographes accomplira « une première mondiale ». « Jamais on n’avait plongé aussi longtemps et si profond » dans l’océan polaire Austral, dit Luc Jacquet : jusqu’à -70 mètres, dans une eau à -1,8 °C.
Ces images, sous plafond de glace, montrent la grâce du plus grand de tous les manchots, capable d’évoluer 20 minutes sous l’eau. À un moment, le réalisateur renverse l’image, et les empereurs semblent voler. « C’est un animal de haute mer, qui ne vient sur la glace que pour la reproduction », souligne Luc Jacquet, heureux aussi d’avoir pu profiter de nouvelles technologies. En 2003, seule la pellicule 16 mm pouvait résister au froid.
«On ne peut pas être désespérés tout le temps!»
Mais, plus peut-être que les images filmées par les drones, c’est encore le destin poignant du manchot qui saisit le spectateur. L’Empereur version 2017, c’est l’histoire d’un poussin se préparant à « voler de ses propres ailes» – en l’occurrence à nager seul. On y voit son père, ici vers la fin de sa vie (40 ans) accomplir un nouveau miracle en accompagnant les premiers mois d’un petit a priori promis à la mort dans cet environnement hostile : voyages interminables vers l’océan pour le nourrir, attente du petit affamé menacé par les crevasses ou les pétrels géants… Jusqu’à ce que le père se détourne, sa tâche accomplie.
« Je voulais filmer le destin d’un individu, comme un acteur , dit Luc Jacquet. J’ai rencontré des manchots – bagués – que j’avais croisés en 1991! Comment tiennent-ils si longtemps? Comment les poussins trouvent-ils, seuls, l’océan, à des centaines de kilomètres au Nord? Est-ce cela le destin? Cette histoire de vie et de transmission est un mystère fabuleux qui me bouleverse. »
Le cinéaste filme aussi le crépuscule, ou encore le chaos de la banquise, pas du tout une surface plane mais un fatras de glace malaxée par les vents. Le tout servi par la narration de Lambert Wilson. Dans ce film tous publics, qui fait aussi l’objet d’un livre, pas de message alarmiste pour ce continent – et cet animal – pourtant menacés par le dérèglement climatique.
« Je ne voulais pas refaire La Glace et le ciel », dit Luc Jacquet à propos de son film sur la vie du climatologue Claude Lorius, présenté à Cannes en 2015. « Nous avons un tel défi devant nous, et ça s’est tellement durci avec l’arrivée de Trump, qu’il faut tout essayer pour mobiliser », dit-il. Mais « on ne peut pas être désespérés tout le temps! Ici, je voulais mettre en avant la dimension précieuse et fragile de cet univers, et offrir ces images aux enfants. Par l’émerveillement, on arrive aussi à des résultats positifs. »
L’Empereur, de Luc Jacquet. Actuellement à l’Utopolis (Luxembourg).