Son lion, Marjan, est longtemps resté le symbole de la résilience afghane. Plus de dix ans après sa mort, le zoo de Kaboul demeure un des rares lieux de détente dans un pays asphyxié par un conflit sans fin.
Femmes et enfants, familles et jeunes couples se pressent entre les cages pour admirer les faucons, chouettes et vautours, les loups, les singes, et oublier un moment la peur des attentats et l’incertitude des barrages.
« On est venu faire une pause, oublier nos soucis et nos peines », explique Mohammad Ali Akbari, arrivé de la province de Ghazni (sud), l’une des plus disputées par les talibans, pour que son épouse, en arrêt devant un ours, se repose.
Les singes ont les faveurs des enfants qui imitent leur gestuelle et leurs cris. Une sono puissante s’échappe de la cafétéria qui jouxte la volière des faisans: on y déguste frites, hamburgers et sodas sur les bancs en regardant les volatiles.
Certains visiteurs ont préféré l’ombre des arbres pour se partager melons et pastèques. Des amoureux aux joues roses se sont assis face aux gazelles, s’efforçant ainsi d’échapper aux regards réprobateurs qui leur interdisent les retrouvailles ailleurs en ville.
De fait, ces scènes qui pourraient sembler ordinaires ne le sont pas à Kaboul, où plane sans cesse la menace d’une violence qui éclate sans prévenir, comme le 23 juillet quand deux kamikazes ont dévasté les rangs d’une manifestation pacifique, faisant plus de 80 morts.
« Ne mangez pas les animaux ! »
Le zoo de Kaboul, le seul en Afghanistan, est situé au cœur de la capitale cernée de hautes collines pelées, au flanc desquelles s’agrippent des petites maisons de terre battue, chaque jour plus nombreuses.
Avant la guerre civile, qui a dévasté la ville de 1992 à l’arrivée au pouvoir des talibans en 1996, le zoo abritait de nombreux animaux exotiques. Mais la plupart ont été tués ou se sont échappés, terrorisés, lors des bombardements. De cette époque, il ne reste plus guère que l’ours au nez écorché par des enfants qui l’ont frappé avec un bâton, une poignée de singes et des oiseaux de proie.
La plupart des autres pensionnaires de taille relativement modeste, comme les moutons et les chèvres, ont été volés pour être mangés.
Une vieille blague en ville assure qu’une pancarte prévenait autrefois les visiteurs: « Ne mangez pas les animaux! » en lieu et place de celles, plus traditionnellement accrochées aux cages, interdisant de « nourrir les animaux ». Quant aux oiseaux exotiques, dont de nombreuses espèces rares, ils ont été volés et vendus en douce.
Le zoo a subi une lente et difficile rénovation et accueille désormais 600 animaux, la plupart offerts par des pays amis comme l’Inde et la Chine.
Le lion Marjan, borgne et adulé
« C’est aujourd’hui plus qu’un zoo », souligne Aziz Gul Saqib, directeur des lieux depuis plus d’une décennie. « Les familles se sentent en sécurité ici; c’est un endroit pour souffler ». Il affirme que l’an dernier, plus de 700.000 visiteurs se sont pressés dans les allées du zoo, lui assurant 250.000 dollars de revenus et son autonomie financière.
Le directeur a ainsi pu équiper le zoo de caméras de surveillance et de hauts-parleurs, qui servent entre autres à mettre en garde les enfants qui asticotent les animaux. « C’est très important d’éduquer les gens sur la vie sauvage car de nombreuses espèces dans ce pays sont en voie d’extinction », insiste Aziz Gul Saqib.
Mais le zoo a perdu sa star et principale attraction: Marjan, son lion éborgné par un tir de grenade en 1993, est décédé à 26 ans, en 2002, après avoir traversé les turbulences de l’Afghanistan contemporain, depuis l’invasion soviétique en 1979 jusqu’à la chute des talibans en 2001.
Félin adulé, Marjan est enterré dans l’enceinte du zoo, et sa statue de bronze, à l’entrée, accueille les visiteurs, qui se font prendre en photos en posant à ses pieds.
Un remplaçant a brièvement occupé sa place en 2014, après qu’un reporter de l’AFP eut repéré un félin efflanqué attaché sur un toit du quartier résidentiel de Taimani. Promptement transféré au zoo pour sa survie, ce lion y est néanmoins décédé quelques mois plus tard.
Pour l’Afghanistan enlisé dans un conflit qui n’en finit pas, le zoo tout entier est devenu une métaphore de la survie en milieu hostile.
Le Quotidien / AFP