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Le rap, la nouvelle variété française


Nekfeu, numéro 2 des ventes en 2019 devant Johnny. (Photo AFP)

Le son urbain français est-il à voir comme la nouvelle variété? Entre émergence du streaming, références à la culture populaire et paroles moins engagées, le rap hexagonal se développe tous azimuts.

Nekfeu, PNL, Ninho, Soprano et Lomepal trônent dans le top 10 des ventes d’albums en 2019 en France : le rap – aux mille visages, langue de la rue ou influencé par la chanson française – est devenu la nouvelle variété. Derrière Angèle, n°1 des ventes en 2019, et devant Johnny Hallyday, on trouve ainsi Nekfeu avec 449 545 ventes (physiques ou non) pour Les Étoiles vagabondes. Et PNL talonne l’ex-«idole des jeunes» décédée en 2017, avec 402 854 copies de Deux Frères.

«Le rap a gagné, l’urbain est la norme, la contre-culture est devenue dominante et le discours « c’est une mode qui ne va pas durer » est maintenant difficile à tenir», éclaire Olivier Cachin, journaliste spécialiste du hip-hop. «Le son urbain, c’est la nouvelle variété. Eddy de Pretto, Lomepal jouent avec les codes des musiques urbaines. Il n’y a pas un rap, mais plusieurs entre Gims, Bigflo et Oli, Black M, Maes, Heuss L’Enfoiré, Gambi», renchérit Antoine Monin, directeur musique chez Spotify, pour France et Benelux.

Entendre lNikos Aliagas parler de Khapta, morceau d’Heuss L’Enfoiré, c’est révélateur

«Faire le portrait d’un auditeur type du rap aujourd’hui ? C’est bien simple, c’est tout le monde», insiste Olivier Cachin. «Entendre l’animateur télé Nikos Aliagas parler de Khapta, morceau d’Heuss L’Enfoiré, c’est révélateur.» Quel est le rôle des plateformes d’écoute en ligne ou de téléchargement dans cette toute nouvelle donne ? «L’avènement du digital a permis aux artistes de se connecter avec leur public, cette génération « digital native »», décortique Antoine Monin.

Les plateformes ont fait «sauter des goulots d’étranglements», poursuit-il. «Avant, il fallait enregistrer, être entendu, distribué. Désormais avec des petits logiciels, chez soi, on peut mettre en ligne très rapidement», ajoute le responsable de Spotify. Cette production très rapide et la diffusion des singles en streaming débouchent sur «une occupation du terrain permanente», confirme Olivier Cachin. «Un artiste comme Jul, qui sort deux albums par an, a réinventé les codes», rebondit Antoine Monin.

Mais le support technique n’explique pas tout. «Il y avait une audience avide, le rap est un vrai mouvement culturel fort. Avec une spécificité française : je compare souvent les rappeurs à Moustaki, ou Aznavour, qui comme eux sont parfois immigrés ou enfants d’immigrés. « Je m’voyais déjà en haut de l’affiche », chantait Aznavour : les rappeurs ne disent pas autre chose, ils sont les héritiers conscients ou inconscients de ces chanteurs», avance ainsi le dirigeant de Spotify.

Kool Shen s’étonnait que le mouvement des gilets jaunes n’ait aucun retentissement dans le hip-hop

Maes, figure de la nouvelle génération du rap français (qui vient de sortir son second album, Les Derniers Salopards), assume lui sans complexe des références comme Daniel Balavoine ou Charles Aznavour, qu’il cite dans ses titres et place dans ses playlists. Olivier Cachin voit cependant aussi une conséquence de fond dans cette ère du rap tout-puissant. «Avec l’émergence d’un rap plus commercial, plus populaire, axé sur les mélodies, on a un rap parfois moins engagé, moins militant.» «J’en parlais récemment avec Kool Shen (NDLR : moitié du groupe NTM avec JoeyStarr), qui s’étonnait que le mouvement des gilets jaunes n’ait aucun retentissement dans le hip-hop», raconte encore l’auteur de la biographie Suprême NTM (édition Michel Lafon).

Les plateformes comme Deezer ou Spotify sont parfois accusées d’assécher les autres genres musicaux avec leur playlists. «Le digital ne me rapporte rien», déplorait récemment Thomas Fersen dans Le Monde. Antoine Monin assure qu’il y a un «rééquilibrage du répertoire de la musique», avec au fil du temps, un usage des plateformes par une «audience plus large, plus variée, moins urbaine et moins jeune, qui profite à des artistes comme Clara Luciani ou Kendji Girac».

Pour Olivier Cachin, le streaming ne fait pas tout et il en veut pour preuve le «taux de remplissage des salles» des rappeurs. «Vald, Jul ou NTM ont joué à Bercy plusieurs soirs d’affilée en fin d’année dernière. C’était plein avec un public chauffé à blanc.» Et Spotify décline désormais sa playlist des titres français plébiscités avec les soirées «pvnchlnrs», garnies de pointures – Niska, 13 Block… – en live.

Le Quotidien 

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