Jeff Herr et sa Corporation sont de retour dans les bacs avec « Manifesto ». Un nouvel album regroupant huit titres, dont sept compositions personnelles, à la fois organiques, groovy et «free». Un bonheur !
Présenté à Opderschmelz en avant-première à la mi-novembre, le nouvel album de la Jeff Herr Corporation, Manifesto, est sorti en décembre au Luxembourg et est disponible depuis quelques jours sur les différents sites de musique en ligne. Un album dans la lignée du précédent qui avait amené le trio grand-ducal jusqu’en Inde ou au Japon. Rencontre avec le batteur et compositeur, Jeff Herr.
Manifesto est le quatrième album de la Jeff Herr Corporation, le second dans sa composition actuelle. Peut-on parler d’une suite par rapport à l’album précédent, Layer Cake ?
Jeff Herr : Oui, c’est clairement une suite. Ça reste un travail de trio, le travail de trois complices qui, depuis Layer Cake, ont joué une bonne soixantaine de concerts ensemble, ce qui donne une certaine évolution dans le jeu. Il y a là une plus grande maturité, mais du coup, il n’y a peut-être plus la même fraîcheur. Layer Cake était un voyage sans but précis, on ne savait pas du tout où ça irait, tandis que Manifesto est un album beaucoup plus réfléchi, une conception prévue du titre jusqu’au dernier morceau.
Le titre de l’album est d’ailleurs celui du dernier morceau.
Tout à fait. Comme ça, ça va peut-être inciter les gens à écouter l’album jusqu’au bout ! Pour revenir à la question, une suite, oui, mais avec une plus grande maturité, une plus grande complicité entre les musiciens et une approche plus pop dans sa production, avec un son plus moderne.
À l’époque vous parliez de Layer Cake comme de « compositions modernes avec un son vintage ».
Voilà. Là, le son reste organique, mais plus actuel, plus studio, plus pop. Ce n’est pas la musique qui est pop, mais les mix. Par exemple, quand on écoute le groove de la batterie, la grosse caisse est plus définie, plus comprimée. Et puis on s’est laissé la place pour faire de petits effets à droite, à gauche. Il n’y avait rien de tout ça dans Layer Cake.
Revenons au titre, Manifesto. C’est un manifeste de quoi ?
J’aime bien ce titre. Chaque œuvre d’art, et même tout ce qu’on entreprend dans la vie, est, selon moi, un manifeste, une déclaration assumée. Moi, j’ai largement dépassé la trentaine, je suis papa, et j’assume tout ce que je suis. Est-ce là une certaine maturité aussi bien personnelle que musicale ? Je ne sais pas. Je l’espère. Et cet album est la déclaration 2017/2018 de la Jeff Herr Corporation. C’est un état des lieux de là où on se trouve en tant que groupe et, pour moi aussi, en tant que compositeur.
L’album comporte sept compositions propres et une reprise. C’est une nouvelle fois très varié avec des moments très groove, très agréables à écouter et faciles d’accès et d’autres plus free jazz, nerveux…
On voulait jouer encore plus que d’habitude sur les contrastes avec effectivement des passages très organisés, structurés, très groovies… et puis partir à l’opposé, enlever la pulsation et aller dans le free. Pas comme dans Layer Cake dans des interludes, mais en intégrant ces moments totalement dans les morceaux. Résultat, il y a une partie B d’un même morceau qui n’est pas juste sur une autre tonalité ou avec moins de groove; là, on dissout totalement le groove et on va dans quelque chose de très ouvert, libre; et après on redémarre quelque chose de structuré. Ça ne s’est pas fait de manière intentionnelle, c’est venu naturellement.
La dernière fois, il y avait un cover de David Bowie, cette fois-ci, c’est Same Girl de Randy Newman. Pourquoi ce choix ?
J’ai entendu ce morceau dans un épisode d’une série télé, c’est un moment très fort, plein d’intrigue, qui m’a énormément touché. J’ai découvert que c’était Randy Newman, un compositeur que j’aime beaucoup. Il a, entre autres, signé la musique de la série Monk, des films Toys Story, Cars, etc.
Mais ce n’est pas un morceau jazz.
Non, pas du tout. Mais bon, Bowie ne l’était pas non plus.
Et c’est Lata Gouveia qui chante votre adaptation.
Oui. Je travaille avec Lata, je suis batteur dans son groupe. Je connais donc bien son timbre, sa prononciation, sa manière de narrer une histoire. Quand j’ai terminé mon arrangement, il me manquait les paroles. J’ai donc décidé de les reprendre. Et pour les chanter, il fallait une voix mature, basse, qui soit convaincante. J’ai tout de suite pensé à Lata, mais pas en tant que chanteur, en tant que narrateur. Il y a la contrebasse qui joue la mélodie et Lata qui récite. J’aime l’émotion qu’il ajoute au morceau, surtout dans sa partie plus sauvage où on a l’impression de retrouver Jim Morrisson. Malheureusement, ça va être difficile de jouer ce morceau en tournée.
Officiellement, votre trio n’a pas d’éléments harmoniques – piano, guitare, etc. –, mais le guitariste américain Adam Rogers a participé à trois des morceaux de Manifesto. N’est-ce pas contradictoire ?
Quand on a l’opportunité de jouer avec une référence mondiale du jazz comme Adam Rogers, on s’adapte. Il était venu jouer avec nous à la Philharmonie en février dernier et on lui avait proposé, en plus du concert, de rester un jour de plus pour enregistrer avec nous. Comme il a accepté, j’ai écrit en conséquence, j’ai changé le concept. Du coup, effectivement, il y a On My Own, Moon Glow et Manifesto qu’on joue en quartette, avec un instrument harmonique. Mais en concert, on peut aussi reprendre ces titres en trio.
Puisqu’on parle de concerts, quand et où pourra-t-on vous revoir sur scène ?
On a présenté l’album en avant-première au Grand-Duché à Opderschmelz à la mi-novembre, maintenant, on va faire des releases à l’étranger. On sera ce mois-ci en Angleterre, en février à Paris, en mars à Bruxelles, on attend confirmation pour l’Allemagne, etc. On ne va pas trop jouer au Luxembourg, mais on sera tout de même au festival Like a Jazz Machine de Dudelange en mai.
Entretien avec Pablo Chimienti