Baskets inventées dans un monde virtuel qui prennent forme dans le monde réel, designers qui testent des vêtements sur des avatars avant de les fabriquer : le métavers s’affirme comme lieu d’expérimentation, à la rencontre des consommateurs.
Depuis quelques mois, un nombre croissant de marques cherchent à établir une présence dans les métavers, ces univers numériques dont tout le monde parle, de Roblox à Fortnite, en attendant celui promis par Meta/Facebook, de peur de manquer un virage technologique majeur.
Et certains pensent déjà à en revenir avec, sous le bras, des concepts et designs orientés par les utilisateurs, pour les décliner physiquement.
«En réel, tout coûte extrêmement cher pour faire n’importe quel produit», explique le couturier Julien Fournié. «On peut se tromper, ce sont d’énormes paris. Une paire de lunettes, un sac, tu le mets dans les boutiques et tu ne sais pas si cela va fonctionner.»
Le métavers est «un endroit d’ouverture pour tester des choses en virtuel et recréer un lien extrêmement précis avec l’expérience dans la vie réelle.» L’usage que font les internautes de ce que leur proposent les marques dans le métavers, leurs choix, leurs goûts, offrent une mine d’informations. Cela s’inscrit dans une tendance de fond, celle de l’exploitation des données recueillies en ligne, «pour créer de meilleures collections, faire des prévisions de production plus justes», situe Achim Berg, associé au sein du cabinet McKinsey.
Quantifier la demande
La pandémie de coronavirus a accéléré le rapprochement entre virtuel et réel en poussant de nombreux designers à créer en trois dimensions, faute de pouvoir se réunir en un même lieu, alors qu’une bonne partie du milieu de la mode travaillait encore à plat jusqu’ici, souligne le consultant. Le modèle créé en 3D peut, dès lors, vivre plus facilement des deux côtés de l’écran, numériquement ou physiquement.
Fin février 2021, le studio RTFKT a lancé, avec l’artiste de Seattle Fewocious, en série limitée, 621 paires de baskets virtuelles avec leur NFT, un certificat de propriété numérique infalsifiable. L’un des aspects originaux de l’opération était d’associer à chaque paire vendue ce jour-là de vraies chaussures, que les acheteurs pouvaient récupérer six semaines plus tard.
«Nous pensons que ce lien affectif avec les objets physiques est toujours important et peut renforcer l’attachement» aux produits numériques, a déclaré au Wall Street Journal Benoît Pagotto, l’un des fondateurs de RTFKT, racheté par le géant Nike en décembre.
L’application Aglet, qui mélange baskets virtuelles et réalité augmentée, a créé ses propres chaussures, les Telga, aux côtés des poids lourds Adidas ou Reebok. Elle prévoit maintenant de fabriquer des sneakers bien réelles, annonce Ryan David Mullins, son directeur général.
Il affirme que le premier lot de 500 exemplaires a déjà été vendu avant même que ne démarre la production. «Quand vous pouvez quantifier la demande sur ces plateformes, dit-il, c’est plus facile de créer un débouché dans le monde physique, en ayant plus de données sur la quantité qu’il faut fabriquer.»
Aglet travaille avec de jeunes designers qui peuvent «commencer à construire leur marque» sur la plateforme, pour ensuite, si la demande est là, «faire la transition» vers le réel.
Le réel devient accessoire
Autre déclinaison du métavers, la plateforme de mode haut de gamme Farfetch, qui a lancé en août une formule qui permet de précommander des articles Balenciaga, Off-White ou Dolce & Gabbana qui ne sont, en l’état, que des lignes de code, un fantasme.
Le site a collaboré avec le studio DressX, qui conçoit des vêtements virtuels, afin de parvenir à un rendu qui soit le plus convaincant possible. Les pièces ne sont effectivement fabriquées en atelier qu’en fonction des précommandes.
La formule est surtout attractive pour les marques haut de gamme, plus que pour les mastodontes du prêt-à-porter. Elle a aussi pour elle de répondre à certaines attentes de l’époque, à savoir éviter au maximum la surproduction et les invendus, et proposer ainsi une approche plus écoresponsable.
Tous ne sont pas convaincus par l’intérêt de concrétiser physiquement les créations du métavers. «Les pièces numériques peuvent être portées, collectionnées et échangées dans le métavers, donc il n’y a pas besoin d’un équivalent physique», estime The Fabricant, une maison de mode virtuelle.
Cette entreprise néerlandaise voit tout de même d’un bon œil la perméabilité entre les deux univers, «quand les individus transposent l’esthétique du monde virtuel dans leur vie physique». «Au final, ce qui compte, c’est le désir», estime Achim Berg. «Si quelque chose est désirable dans cet espace (virtuel), pourquoi ne le serait-il pas dans un autre?»
Au final, ce qui compte, c’est le désir. Si quelque chose est désirable dans cet espace (virtuel), pourquoi ne le serait-il pas dans un autre?