« Fluctuat nec mergitur »? La Bibliothèque de la Pléiade publie jeudi une « Anthologie bilingue de la poésie latine », alors que peu de lecteurs savent encore lire la langue de Cicéron.
Rares sont les langues ayant eu l’honneur d’entrer dans la collection de prestige des éditions Gallimard: outre l’ancien français, il n’y a eu que l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien et le latin, déjà, avec les oeuvres complètes de Virgile en 2015.
Face à quatre langues bien vivantes, la question se pose ex abrupto: ce XXIe siècle fera-t-il du latin une langue vraiment morte, privée ad vitam aeternam de locuteurs?
« Non », répond à l’AFP Philippe Cibois, sociologue qui suit les tendances de l’enseignement de rosa, rosam, rosae. « En moyenne, toutes classes confondues, 12 ou 13% des élèves font des langues anciennes, surtout du latin maintenant, très peu du grec. C’est un roc solide dans l’enseignement et les 7.000 profs de latin en France sont très actifs pour promouvoir leur matière ».
« Je suis certain qu’il y aura beaucoup de lecteurs qui aimeront avoir cette Pléiade dans leur bibliothèque », parie-t-il. Sans forcément beaucoup lire la page de gauche, en VO: « C’est tout le bénéfice du sous-titrage. On apprécie une langue sans avoir besoin d’être très performant ».
Le volume couvre bien sûr la littérature romaine, en commençant par Livius Andronicus (IIIe siècle avant Jésus-Christ), en passant par les classiques Ovide ou Catulle. Mais aussi le Moyen Âge, où Alain de Lille a pour alias Alanus de Insulis, la période moderne… et contemporaine, avec des vers de Pascal Quignard publiés en 1979, « Inter aerias fagos » (« Parmi les hêtres aériens »).
Baudelaire ou Rimbaud
Comme l’écrit dans une note introductive Philippe Heuzé, professeur de littérature latine à Sorbonne Nouvelle, la poésie latine « a la particularité remarquable de courir sur deux mille trois cents ans ».
« Des auteurs du XIXe ont une production originale en latin, comme Baudelaire, ou Rimbaud qui avait remporté un premier prix de vers latins. C’est presque militant que de rappeler que des auteurs aussi importants sont des poètes bilingues », relève Pierre-Alain Caltot, maître de conférence en langue et littératures latines de l’Université d’Orléans.
Le poème de Rimbaud s’appelle « Ver erat » (« C’était le printemps », 1868), et semble préfigurer « Le Dormeur du val » (1870). « Iacui uiridanti in fluminis ora »: « Je me couchai sur la rive verdoyante d’une rivière ».
« J’ai une vraie espérance pour l’avenir de la langue, non dénuée d’inquiétude, mais fondée sur l’idée qu’on ne peut pas se passer de latin, que sans connaissance du latin on ne peut pas comprendre ce que sont par exemple l’épopée, la satire, même l’écriture de l’histoire », dit M. Caltot. « La question se pose toujours de savoir à quoi ça sert, à une époque où tout doit payer immédiatement, et j’allais dire que ça ne sert à rien directement. Sauf à cultiver son jardin ».
Mais c’est un combat quotidien, quand il faut convaincre les parents de collégiens d’ajouter une matière optionnelle à des programmes déjà chargés.
Philippe Cibois ferait presque son mea culpa. « J’ai fait du latin de la 6e à la 1re, au lycée classique. Au début ça allait, mais à la fin j’étais noyé: après mes études je me disais que le latin, il fallait supprimer ça, que ça amenait des élèves à l’échec… Et puis, quand ma fille a eu l’âge d’en faire, je me suis dit qu’on ne pouvait pas la priver de cette culture-là ». Nolens volens.
AFP