Village gaulois dans un monde dominé par les plateformes américaines, Paris reste malgré tout la capitale mondiale des cinémas avec 400 salles, dont la plus grande au monde, le Grand Rex, s’offre une nouvelle jeunesse.
Sur les Grands Boulevards, l’heure est aux derniers coups de pinceaux sur la façade du bâtiment classé Arts déco, calquée sur l’architecture des premiers temps du cinéma aux États-Unis. L’objectif : retrouver l’aspect des années 1930, troquant le rouge tape-à-l’œil pour le mélange crème et argent d’origine.
«Depuis que le cinéma existe, on a compté 71 salles plus grandes que le Rex et ses 2 700 places. Elles ont toutes fermé!», explique son dirigeant, Alexandre Hellmann, impatient d’appuyer, pour l’inauguration prévue ce jeudi, sur le bouton qui rallumera l’imposante enseigne rotative «Rex», qui sera à nouveau la seule à tourner dans le ciel de la capitale.
Des files d’attente qui se forment parfois dès le petit matin, une fréquentation attendue en recul de 10 % seulement en 2022 par rapport à l’avant-covid… Le succès du mastodonte indépendant a de quoi faire pâlir d’envie de nombreux exploitants dans le monde, qui ne parviennent pas à faire revenir leur public. D’autant plus qu’il est situé à un quart d’heure à pied des 27 salles de l’UGC Ciné Cité-Les Halles, l’un des multiplexes les plus fréquentés du monde.
«Si on ne devait vivre qu’avec le cinéma, on fermerait les portes», convient Alexandre Hellmann, qui a joué à fond la carte de la diversification, avec son club, son escape game et surtout ses concerts-évènements, de Madonna à Bob Dylan.
Le déclin d’autres lieux dans la capitale
Pour ce qui est du cinéma, le Grand Rex a convaincu le public de quitter son canapé avec des séances «événementielles», des mangas en avant-première ou des marathons filmiques jusqu’au bout de la nuit, qui permettent de s’attacher des communautés de fans fidèles.
Et, pour le glamour, des avant-premières prestigieuses, dont la prochaine, celle du dernier Spielberg, The Fabelmans. La salle des Grands-Boulevards, en plein cœur de la capitale, profite aussi du déclin d’un autre lieu historique du cinéma, les Champs-Élysées. Le Marignan va y baisser prochainement le rideau, après le George-V.
La célèbre avenue, arpentée par Belmondo et Jean Seberg dans À bout de souffle, était «le quartier du cinéma à Paris, mais est en train de disparaître», notamment à cause «d’un coût du foncier disproportionné», analyse Michel Gomez, le M. Cinéma de la mairie de Paris. «On a du mal à voir des salles fermer, mais le cinéma à Paris est un tissu vivant», dépendant d’acteurs privés, qui suivent l’évolution «sociologique et géographique de la ville», tempère-t-il.
Fin 2022, Paris compte toujours probablement la plus forte densité de cinémas au monde, avec 398 écrans dans 75 cinémas, selon les chiffres transmis par la ville. Soit presque autant qu’avant la pandémie (411 écrans en 2019), et 8 % de plus qu’en l’an 2000.
Les souvenirs de Damien Chazelle
Même si le sort de certains petits indépendants, comme la Clef ou le Luminor, reste menacé par la spéculation immobilière, le réseau art et essai, unique au monde, «résiste» globalement, souligne Michel Gomez. C’est le cas des célèbres salles du quartier Latin et leur offre ultrapointue ou de patrimoine.
Des lieux qui font référence jusque de l’autre côté de l’Atlantique, comme le confie le réalisateur Damien Chazelle (La La Land), de passage à Paris où il a fait son éducation cinéphile. «Lycéen, j’allais dans les vieux cinémas du quartier Latin regarder des rétrospectives, des projections de vieux films de Hollywood, de France ou du Japon. La première fois que j’ai vu Metropolis de Fritz Lang, c’était ici. Ça ne s’oublie pas!»
Le centre de gravité du cinéma à Paris pourrait encore se déplacer. En 2024 doit ouvrir près de l’Opéra un mégaprojet confié à l’architecte star Renzo Piano par Jérôme Seydoux, patron de Pathé. Et à une tout autre échelle, rouvrira La Pagode, haut lieu de l’histoire de la cinéphilie, rachetée par un mécène américain.